Publié le 14 octobre 2025
Interview : « En matière de pollution atmosphérique, c’est le travail de longue haleine qui paie »
À l’occasion de la Journée nationale de la qualité de l’air, le nouveau bilan annuel de la qualité de l’air en France vient d’être publié. Entre progrès mesurables et défis persistants dans certains endroits, où en sommes-nous réellement ? Pour y voir plus clair, nous avons interrogé Pascal Barthe, chef de bureau de la qualité de l’air à la direction générale de l’énergie et du climat et Aurélie Le Moullec, chargée de mission air et bruit au commissariat général au développement durable (CGDD).

Comment a évolué la qualité de l’air en France ces dernières années ?
Pascal Barthe : on continue à observer une tendance à l’amélioration globale de la qualité de l’air ambiant depuis plusieurs années. Il faut se féliciter de ces réductions d’émissions de polluants atmosphériques qui font suite à des actions impulsées à différents niveaux - national ou au plan local - même si l’effort doit être poursuivi.
Aurélie Le Moullec : des dépassements des normes réglementaires de qualité de l’air persistent pour certains polluants et territoires. En 2024, quatre polluants étaient concernés sur un total de 23 agglomérations : respectivement deux et trois agglomérations pour le dioxyde d’azote (NO2) et les particules de diamètre inférieur ou égal à 10 µm (PM10) dont les normes sont à respecter obligatoirement ; respectivement une et dix-sept agglomérations pour le nickel et l’ozone dont les normes sont à respecter dans la mesure du possible.
Comment mesure-t-on la qualité de l’air ?
Pascal Barthe : l’État confie la surveillance de la qualité de l’air, dans chaque région, à une association agréée de surveillance de la qualité de l’air (Aasqa). Ces Aasqa disposent d’une gouvernance locale associant services de l’État, collectivités, entreprises émettrices et des associations. Le Laboratoire central de surveillance de la qualité de l’air (LCSQA, regroupant l’Institut national de l’environnement industriel et des risques, l’Institut Mines Nord Europe et le Laboratoire national de métrologie et d’essais) assure, sous la supervision du ministère chargé de l’environnement, le rôle de laboratoire national de référence et assure la coordination technique du dispositif. En 2024, près de 600 stations de mesures, réparties sur tout le territoire français, ont permis la surveillance de la qualité de l’air avec, en complément, des outils de modélisation.
Quelles sont les principales sources de pollution atmosphérique aujourd’hui ?
Aurélie Le Moullec : le trafic routier, le chauffage résidentiel (en particulier au bois) et les activités agricoles sont, à l’heure actuelle, les principales sources de pollution en France. En 2024, le transport routier a contribué pour 41 % aux émissions nationales d’oxydes d’azote, le secteur résidentiel pour 67 % aux émissions de particules fines (PM2,5) et les activités agricoles pour 96 % aux émissions d’ammoniac. Localement, les activités industrielles ainsi que les transports maritime et aérien peuvent contribuer de manière significative à la pollution de l’air sur les territoires directement exposés à ces sources.
En 2024, des apports naturels conséquents de particules issues de brumes de sable ont été observés à plusieurs reprises en France métropolitaine, et plus encore dans les Antilles et en Guyane.
Quels sont les impacts sanitaires, environnementaux et économiques ?
Aurélie Le Moullec : la pollution de l’air a de multiples effets sanitaires avérés. Ces derniers peuvent apparaître aussi bien à court terme qu’à long terme et être observés même à de faibles niveaux d’exposition. Des travaux récents de Santé publique France estiment que le respect des dernières recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour les concentrations annuelles de NO2 et de PM2,5 permettrait de limiter de manière importante la morbidité et la mortalité associées à ces polluants. L’étude de Santé publique France publiée au début 2025 estime que plusieurs dizaines de milliers de cas de maladies seraient évitables en réduisant les niveaux des particules fines et de dioxyde d’azote dans l’air ambiant, par exemple l’asthme chez l’enfant mais aussi les maladies cardio-vasculaires ou encore le diabète.
La pollution de l’air a également des impacts sur l’environnement. Elle contribue, en particulier, à l’eutrophisation des milieux aquatiques, à l’acidification des eaux et des sols, ainsi qu’à la contamination des milieux, des plantes et des animaux par les métaux et les polluants organiques persistants. De plus, la pollution à l’ozone provoque des baisses de rendements agricoles.
D’un point de vue économique, le coût annuel global de la pollution atmosphérique a été évalué par une enquête du Sénat publiée en 2015 entre 68 et 97 milliards d’euros, dont 20 à 30 milliards liés aux dommages sanitaires causés par les particules fines. Plus récemment, Santé publique France a estimé que si les valeurs guides annuelles de l’OMS étaient atteintes pour les PM2,5 et le NO2, les bénéfices réalisés s’élèveraient respectivement à 9,6 Md€ et 1,7 Md€.
Quelles mesures ont été mises en place ces dernières années pour améliorer la qualité de l’air ?
Pascal Barthe : en matière de pollution atmosphérique, c’est le travail de longue haleine qui paie : depuis longtemps, des réglementations destinées à réduire les sources de pollution dans les différents secteurs d’activité (souvent en application du droit européen), en particulier sur les installations industrielles, sur les véhicules à moteurs, sur les carburants ou les combustibles, et dont les exigences sont régulièrement renforcées, produisent des effets durables. À cela s’ajoutent les différents plans qui comportent un volet « air » à chaque niveau territorial et qui doivent définir des actions adaptées aux enjeux locaux ainsi que les incitations financières pour aider à réaliser le changement nécessaire à la transition.
À titre individuel, quels gestes simples peut-on adopter pour contribuer à un air plus sain ?
Pascal Barthe : comme très souvent pour l’environnement, nos choix individuels, en matière de consommation, de logement ou de mobilité peuvent avoir des conséquences sur la qualité de l’air, comme bien sûr le recours, chaque fois que c’est possible, à des transports peu polluants, adaptés à la zone dans laquelle on vit et se déplace.
Aurélie Le Moullec : il est également possible d’agir chez soi pour limiter la pollution de l’air extérieur mais aussi intérieur. Par exemple, l’impact du chauffage au bois qui est une source importante de particules aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur peut être limité en suivant quelques recommandations : notamment l’utilisation d’un appareil performant et bien entretenu et l’usage de bois de qualité et sec.
Il existe de nombreuses autres sources de pollution dans les logements : matériaux de décoration et de construction, mobilier et appareils de cuisson, activités humaines, etc. Quelques réflexes permettent néanmoins de limiter son exposition : aérer son logement au moins 10 minutes par jour, installer un système d’aération performant, nettoyer les bouches d’aération régulièrement.
Quels progrès reste-t-il à faire pour atteindre les objectifs de qualité de l’air fixés par la France et l’Union européenne ?
Pascal Barthe : la directive concernant la qualité de l’air ambiant et « un air pur pour l’Europe » entrée en vigueur à la fin de 2024 nous fixe des objectifs clairs de division par deux à l’horizon 2030 de certaines valeurs limites en concentration (pour le dioxyde d’azote et les particules notamment). C’est un objectif de résultat. Il nous faut donc agir désormais sur l’ensemble des secteurs émetteurs et de manière coordonnée à chaque niveau territorial via les différents plans d’actions. En particulier des plans de protection de l’atmosphère devront être adoptés ou révisés en amont de la date de 2030, dans les zones où il sera identifié un risque de dépassement de ces nouvelles valeurs. C’est l’une des tâches principales qui nous attend pour les toutes prochaines années.