Interview : « Les réseaux de transports doivent être modernisés pour répondre aux nouveaux défis »

Publié le 19 mai 2025

La conférence Ambition France Transports réunit jusqu’au mois de juillet les parties prenantes de l’écosystème des transports pour réfléchir au modèle de financement des mobilités de demain. Antoine Comte-Bellot, directeur de la conférence, explique comment sont financées les mobilités en France et revient sur la nécessité d’un nouveau modèle pour 2040.

Ambition France Transports

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Quel est le budget investi dans les différents modes de transport en France ?

Antoine Comte-Bellot : En 2023, les dépenses totales dans le secteur des transports en France ont atteint 520 milliards d'euros, soit 20% du PIB national. Les dépenses publiques représentent 15% de ce montant, soit environ 85 milliards d'euros. Dans cette enveloppe, les dépenses d’investissement dans les infrastructures représentent environ 25Md€. Elles se répartissent entre les infrastructures routières (11 milliards d'euros), ferroviaires (6 milliards d'euros) et les transports en commun (7 milliards d'euros).

Comment la France se compare-t-elle aux autres pays en matière d'investissements dans les transports ?

Antoine Comte-Bellot : La France se situe dans la moyenne basse des pays de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) en termes d'investissements dans les infrastructures de transport, avec environ 0,9% du PIB en moyenne sur la période 2018-2022 (26ème rang sur 44 pays). Des pays comme le Japon, la Suisse et la Chine investissent plus de 1% de leur PIB. Environ la moitié des pays ont augmenté leurs investissements depuis 2012, tandis que l’autre moitié, dont la France, les a diminués.

Pourquoi est-il crucial d'investir dans les infrastructures de transport existantes ?

Antoine Comte-Bellot : Les infrastructures de transport sont essentielles pour la mobilité des Français et l'activité économique. Cependant, ces dernières années, l’état de la plupart des réseaux s’est dégradé, ce qui altère la qualité de service et menace à long terme la possibilité d’utiliser ces infrastructures.

  • Sur le réseau routier national non concédé, en 2022, 31,4% des chaussées nécessitaient un entretien de surface et 18,6% un entretien de structure. 34% des ponts présentent des défauts nécessitant des réparations urgentes.
  • L'âge moyen des voies de notre réseau ferroviaire structurant a fortement augmenté pour atteindre 30 ans et une partie importante des composantes sont hors d'âge. SNCF Réseau estime qu’au cours des prochaines années, sans investissement supplémentaire, 10 000 km de voies pourraient subir des ralentissements voire des fermetures.
  • Concernant le fluvial, la Cour des comptes a publié en 2025 un rapport alarmant sur la dégradation du réseau fluvial qui nuit à sa compétitivité et à la qualité du service, alors que le transport fluvial est crucial pour la transition écologique.

Au-delà d’une rénovation pour garantir le fonctionnement des infrastructures, les réseaux doivent aussi être modernisés pour faire face à de nouveaux enjeux :

  • La diminution des émissions de gaz à effet de serre : les investissements doivent permettre de développer les transports en commun, les aménagements cyclables et des voies réservées pour les usages collectifs de la route (bus, cars, covoiturage).
  • L’adaptation au changement climatique : les investissements doivent renforcer la résilience des réseaux face à des chocs thermiques extrêmes.
Quels sont les différents modèles de financement des infrastructures ?

Antoine Comte-Bellot : Les institutions publiques (l'État, les collectivités locales) peuvent choisir différents modèles pour gérer les infrastructures dont elles ont la charge :  assumer elle-même la gestion ou recourir à une entreprise privée.

Voici quelques modèles de financement :

  • Maîtrise d'ouvrage publique : L'État ou les collectivités gèrent directement les infrastructures.
  • Partenariats public-privé : Une partie des risques est transférée à des entreprises privées.
  • Concession : Les entreprises privées gèrent et financent les infrastructures en échange de recettes d'exploitation.

Historiquement, les infrastructures françaises ont emprunté à tous ces modèles de gestion et de financement. La plupart des routes sont financées et gérées directement par l’État et les collectivités, mais environ 10 000 kilomètres du réseau autoroutier sont concédés à des entreprises. Certaines routes sont parfois aussi financées et gérées via un contrat de partenariat (l’autoroute L2 de Marseille par exemple). Si au XIXe siècle le réseau ferroviaire a été développé par le secteur privé, les infrastructures ferroviaires sont, depuis l’après-guerre, financées directement par le gestionnaire d’infrastructure public (aujourd’hui SNCF Réseau). Enfin, les transports en commun sont en majorité gérés par des délégations de service public, mais certaines collectivités s’organisent en régie.

En plus de choisir entre financement public et privé, il est important de décider comment répartir les financements au sein du secteur public, entre l'État et les collectivités territoriales. Les collectivités locales jouent un rôle de plus en plus important dans les politiques de mobilité.

Quels sont les avantages et inconvénients de ces différentes approches ?

Antoine Comte-Bellot : Le choix de gérer un projet d'infrastructure par une entité publique ou privée dépend d'abord de la capacité à gérer les risques et à garantir la performance à long terme. Ce choix est aussi politique : faut-il que les usagers paient pour l'infrastructure ou que ce soit financé par les impôts des contribuables, locaux ou nationaux ? Si les usagers paient une grande partie du coût, il est plus facile de recourir à des concessions privées. En revanche, si l'infrastructure est principalement financée par les impôts, ce modèle de concession n'est pas toujours adapté.

Quel type de modèle de financement pour les infrastructures de transport la conférence souhaite-t-elle voir émerger ?

Antoine Comte-Bellot : La conférence sera l'occasion de proposer des solutions pour la répartition des financements des infrastructures de transport.  Nous discuterons de la part du financement qui doit venir des usagers par rapport à celle qui repose sur les contribuables via les impôts. Il faudra également examiner s'il est pertinent d'associer des financements privés pour certaines infrastructures. Enfin, il sera nécessaire de définir comment répartir les financements entre l'État et les différentes collectivités, ainsi que de déterminer le modèle économique des autorités organisatrices de la mobilité, comme les régions et les intercommunalités, pour qu'elles puissent financer l'offre de transport.