Le numérique responsable

Le Vendredi 12 janvier 2024

Dans un contexte de transformation numérique des entreprises et de croissance des usages, l’impact environnemental du numérique fait l’objet d’une prise de conscience sociétale forte qui appelle des réponses politiques. Cette demande a été, par ailleurs, clairement exprimée par les acteurs de la Convention citoyenne pour le climat. La transition écologique appliquée au numérique implique d’en connaitre son impact environnemental, d’agir pour un numérique plus sobre et réfléchi, tout en l’utilisant comme levier au service de la transition écologique.

Alors que les effets du changement climatique se font de plus en plus prégnants dans la vie des citoyens et des entreprises, accélérer la transition écologique est devenue une obligation notamment en matière de numérique. En 2020, le numérique représentait 2.5% de l’empreinte carbone annuelle de la France et 10% de sa consommation électrique annuelle. Sans action, les émissions de gaz à effet de serre pourraient augmenter de plus de 45% d’ici 2030.

Fort de ce constat et afin de faire converger la transition numérique et la transition écologique, le gouvernement a déployé plusieurs actions et dispositifs : la loi Anti-Gaspillage et Économie circulaire, une feuille de route gouvernementale intitulée « numérique et environnement », la loi du 15 novembre 2021 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique (REEN). Aujourd’hui, ces actions se structurent sous le pilotage du Haut comité pour le numérique écoresponsable (HNCE), fer de lance de la planification écologique sur le sujet.

Cette politique publique de numérique écoresponsable apparaît cruciale, car elle est au croisement des problématiques de :

  • climat (émission de Gaz à effet de serre)
  • préservation de la biodiversité et des ressources (eau, terres rares)    
  • économie circulaire et gestion des déchets

Dès 2019, de nombreux travaux ont permis d’alimenter la réflexion sur le développement d’un numérique écoresponsable : la mission d’information sur l’empreinte environnementale du numérique du Sénat (2020), ceux du rapport final de la Convention citoyenne sur le climat (2019), puis de la feuille de route du Conseil national du numérique (CNNum) rédigée avec le Haut conseil pour le climat (juillet 2020), mais aussi le rapport de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) intitulé « Pour un numérique soutenable », sont autant d’éléments ayant permis de bâtir le cadre français en faveur du numérique écoresponsable.

Sustainable Digitalization

La loi Anti gaspillage et économie circulaire (AGEC)

La loi du 10 février 2020 dite AGEC « Anti Gaspillage et Économie circulaire » est le premier texte à fixer des dispositions pour :

  • mieux informer et protéger le consommateur ;
  • rallonger la durée de vie des produits numériques ;
  • obliger l’État, les collectivités et leur groupement à intégrer ces enjeux dans leur politique d’achat.

Les mesures prises en faveur des consommateurs comprennent une obligation, à compter du 1er janvier 2022, pour les fournisseurs d’accès internet, d’informer leurs abonnés de la quantité de données consommées et indiquent l’équivalent des émissions de gaz à effet de serre correspondant (article 13.3). De plus, depuis le 1er janvier 2021, un indice de réparabilité doit être affiché sur certains produits électroniques et électriques (article 16). Une note sur 10 informe le consommateur sur le caractère plus ou moins réparable des produits concernés.

Concernant les produits numériques, l’indice de réparabilité existe pour les téléviseurs, les ordinateurs, les smartphones et certains appareils ménages connectés. Au 1er janvier 2024, un indice de durabilité remplacera cet indice de réparabilité. Ce nouvel indice prendra en compte des critères tels que la fiabilité et la robustesse (article 16).

Par ailleurs, les fabricants et vendeurs de biens comportant des éléments numériques ont l’obligation de communiquer la durée pendant laquelle les mises à jour logicielles sont fournies pour assurer l’usage normal du bien numérique (article 27).

La loi AGEC met en place des mesures visant à rallonger la durée de vie des produits numériques en obligeant les fabricants à fournir les pièces détachées pendant 5 ans minimum, notamment de petits équipements informatiques et de télécommunications, des écrans et des moniteurs (article 19). De plus, elle permet une extension de la garantie légale de conformité de 6 mois pour les biens ayant fait l’objet d’une réparation (article 22).

Enfin, la loi AGEC oblige l’État, les collectivités et leur groupement à être exemplaires en matière d’achat de biens et services numériques. En effet, depuis le 10 mars 2021, ils ont l’obligation d’acquérir certains biens issus du réemploi ou de la réutilisation. Le décret n° 2021-254 du 9 mars 2021 fixe les objectifs d’achat, en particulier pour les produits numériques (article 58). En complément, depuis le 1er janvier 2021, l’administration publique, lors de ses achats, favorise le recours à des logiciels dont la conception permet de limiter la consommation énergétique associée à leur utilisation (article 55).

La loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique (REEN)

La loi REEN s’adresse à tous les acteurs de la chaîne de valeur du numérique : professionnels du secteur, acteurs publics et consommateurs, et s’articule autour de cinq objectifs clés.

Premièrement, elle vise à faire prendre conscience de l’impact environnemental du numérique. À ce titre, les articles 1 à 3 prévoient des modules de formation et de sensibilisation au numérique responsable dans les écoles et les établissements d’enseignement. De plus, les formations d’ingénieur doivent intégrer un module sur l’écoconception des services numériques et à la sobriété numérique. Enfin, l’article 4 prévoit un observatoire des impacts du numérique visant à améliorer la connaissance sur la mesure des impacts directs et indirects du numérique sur l’environnement.

Deuxièmement, la loi REEN vise à limiter le renouvellement des appareils numériques au travers de trois axes phares.

  • Tout d’abord, elle renforce les dispositions de la loi AGEC en faveur du rallongement de la durée de vie des produits. Plus précisément, elle interdit les pratiques d’obsolescence, y compris logicielle (article 5 à 8). Les informations transmises au consommateur sur les mises à jour des biens numériques doivent être lisibles et compréhensibles (article 9 à 11) et les distributeurs doivent communiquer sur l’existence d’offre de reconditionnés, sur des conseils d’usage et d’entretien pour allonger la durée de vie des produits (article 21 et 22). Enfin, elle oblige les acheteurs publics en compte l’indice de réparabilité pour les produits numériques dans la passation des marchés (article 15).
  • Le deuxième axe phare consiste à favoriser le réemploi et la réutilisation. Dans cette direction, l’article 16 prévoit que les anciens équipements informatiques des services de l’État ou des collectivités soient orientés vers le réemploi ou la réutilisation. L’article 18 ajoute les reconditionneurs, en plus des vendeurs professionnels et les réparateurs, comme destinataires de pièces détachées.
  • Le dernier axe pour limiter le renouvellement des appareils numériques consiste à mettre des objectifs en matière d’économie circulaire, c’est-à-dire de recyclage, de réemploi, et de réparation à l’aide d’opérations de collecte (article 12 et 13). À ce titre, il est prévu des opérations nationales de récupérations des stocks dormants de téléphone, d’ordinateurs et de tablettes. En effet, entre 54 et 113 millions de téléphones dorment dans les tiroirs des Français selon une étude de l’Afnum.

Le troisième objectif clé porte sur l’adoption d’usages numériques écoresponsables. La loi prévoit la création d’un référentiel général d’écoconception, fixant des critères de conception durable afin de réduire l’empreinte environnementale de ces services (article 25). De plus, une recommandation doit être publiée par les agences compétentes visant à l’information des consommateurs sur l’empreinte environnementale de la vidéo en ligne (article. 26).

Le quatrième objectif de la loi REEN vise à promouvoir des centres de données et des réseaux moins énergivores. À ce titre, le texte renforce les conditionnalités environnementales qui s’appliqueront au tarif réduit de la taxe intérieure de consommation finale d’électricité (TICFE) applicable aux centres de données (article 28). Plus précisément, des mesures de réutilisation de la chaleur fatale, et de limitation dans la consommation d’eau à des fins de refroidissement seront valorisées. Les opérateurs de communications électroniques devront quant à eux publier des indicateurs clés récapitulant leurs engagements en faveur de la transition écologique (art. 29).

Enfin, cette loi vise à promouvoir une stratégie numérique responsable dans les territoires. Il est prévu que les communes de plus de 50 000 habitants définissent au plus tard le 1er janvier 2025 une stratégie numérique responsable (article 35). Le décret n° 2022-1084 du 29 juillet 2022 précise le contenu de la stratégie et les modalités de son élaboration.

Le Haut Comité pour le numérique écoresponsable (HCNE)

Lancé en novembre 2022, le Haut Comité pour le Numérique Écoresponsable (HCNE) est l’organe de pilotage de la planification écologique sur le sujet du numérique responsable. Il rassemble l’ensemble des parties prenantes concernées (entreprises, fédérations professionnelles, ONG, représentants des collectivités territoriales et des chercheurs) et est co-présidé par le Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des Territoires, la Ministre de la Transition énergétique et le Ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications. Au niveau opérationnel, le CGDD et la DGE en assure le co-pilotage.

Dans le cadre de la planification écologique, le HCNE assure le pilotage de l’ensemble des travaux menés en matière de numérique responsable, en associant les parties prenantes concernées.

La Feuille de route gouvernementale « numérique et environnement »

Fruit de plusieurs mois de concertations, et nourrie par les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, cette feuille de route a été largement diffusée auprès des acteurs de l’écosystème du numérique responsable (entreprises, reconditionneurs, associations, collectivités, etc.) et constitue aujourd’hui un cadre de référence.

La feuille de route « Numérique et Environnement », rendue publique en février 2021, porte l’ambition de concilier développement des usages numériques et maîtrise de leur empreinte environnementale. Elle s’articule autour de trois axes :  

  • Connaître pour agir. Il importe, aujourd’hui, d’apporter des données précises et objectives sur les impacts positifs et négatifs de l’ensemble du cycle de vie des services numériques sur l’environnement. Cette approche doit être multicritère et intégrer aussi bien la dimension des émissions de gaz à effet de serre que la consommation d’énergie, d’eau et de ressources matières.
  • Soutenir un numérique plus sobre. Alors que les projections montrent une forte croissance des usages numériques, il s’agit de maîtriser, voire de réduire, l’empreinte environnementale du numérique, liée tant à la fabrication des équipements et des terminaux qu’aux usages.
  • Faire du numérique un levier d’innovation pour la transition écologique. Le numérique permet déjà d’optimiser la consommation d’énergie, de réduire nos trajets, d’éviter ou de mieux gérer des déchets. Il s’agit désormais de s’appuyer sur le potentiel du numérique pour accélérer la transition écologique.

L’élaboration d’une feuille de route de décarbonation du secteur du numérique

L’article 301 de la loi du 22 août 2021 dite « loi Climat et résilience » dispose que, pour chaque secteur fortement émetteur de gaz à effet de serre, une feuille de route est établie conjointement par les représentants des filières économiques, le gouvernement et les représentants des collectivités territoriales pour les secteurs dans lesquels ils exercent une compétence.

Le numérique ne constitue pas un secteur au sens de la SNBC (Stratégie nationale bas carbone). Toutefois, ses émissions de GES ont fait l’objet d’études récentes soulignant leur importance et leur forte dynamique, nécessitant leur prise en compte par les pouvoirs publics à travers l’élaboration d’une feuille de route de décarbonation.

La première étape des travaux de la feuille de décarbonation du numérique a démarré fin 2022, et s’est traduite, en juillet 2023, par une première proposition de feuille de route élaborée par les acteurs de la filière et adressée aux pouvoirs publics dans le cadre de la planification écologique. Cette proposition contribuera à l’élaboration d’un objectif d’évolution de l’empreinte carbone du numérique et d’un plan d’action associé dans le cadre de la prochaine SNBC.

Ces travaux ont impliqué l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur, afin que chacun puisse identifier les différents leviers à sa portée pour diminuer l’empreinte carbone du secteur.

Le plan de sobriété du groupe de travail numérique

Un groupe de travail du plan de sobriété énergétique sur le numérique s’est réuni fin 2022. Les acteurs du numérique ont proposé des voies d’économies d’énergie reposant sur :

  • Une limitation des recours à la climatisation dans les salles des centres de données, si l’infrastructure du site le permet. Un passage de 21 à 23 °C est susceptible de diminuer la consommation d’énergie de l’ordre de 7 à 10 %.
  • Un paramétrage optimisé et de mise en veille des box internet et des décodeurs TV en cas de non-utilisation. Une box ADSL/fibre consomme en moyenne 158 kWh d’électricité par an et jusqu’à 300 kWh selon les modèles.
  • Une quantification des consommations énergétiques des services numériques très consommateurs de puissance et d’énergie.  
  • Un engagement des entreprises du numérique à réaliser leur bilan carbone d’ici fin 2023
  • L’engagement des entreprises du numérique à rejoindre « L’Engagement sobriété », qui permet d’initier des audits énergétiques et d’identifier les gisements d’économies d’énergie.

La Stratégie d’accélération Numérique écoresponsable – France 2030

Volet financier et d’investissement d’une politique générale visant à concilier transition numérique et environnementale, la stratégie d’accélération Numérique écoresponsable entend développer l’écoresponsabilité du secteur numérique tout en développant une offre compétitive plus sobre de solutions numériques.

Elle s’articule en 4 axes et 12 mesures :

  • Soutenir les développements méthodologiques pour enrichir la connaissance de l’empreinte environnementale du numérique et la recherche en matière d’écoconception et de sobriété des solutions numériques.
  • Favoriser l’innovation pour une économie circulaire dans le secteur du numérique afin de faire de la France un leader sur l’écoconception, la sobriété et l’allongement de la durée de vie des solutions numériques.
  • Créer une offre de formation continue et initiale relative à l’écoconception, et à la sobriété numérique.
  • Acculturer et accompagner les différents acteurs dans le cadre de cette transformation numérique.

Dans le cadre de France 2030, un appel à projet a été lancé en juillet 2023. Il vise à faire émerger des projets innovants afin de réduire l’empreinte environnementale du numérique au travers :

  • De l’écoconception des biens et services numériques pour répondre aux enjeux d’épuisement des ressources abiotiques (fossiles, minérales, et métaux) et des ressources rares, dont les matières premières critiques ;
  • Du réemploi, de la réparation et le reconditionnement afin d’agir sur la durée de vie des équipements;
  • Des modèles de production responsables notamment l’« économie de la fonctionnalité » et « low Tech » afin de favoriser le développement et déploiement de biens et services « au juste besoin ».

Le cahier des charges est disponible

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