Le Mardi 7 février 2023
Dans un contexte de transformation numérique des entreprises et de croissance des usages, l’impact environnemental du numérique fait l’objet d’une prise de conscience sociétale forte qui appelle des réponses politiques. En effet, l’adoption des principes d’un numérique responsable a été une demande exprimée par les acteurs de la Convention citoyenne pour le climat. Cette transition écologique appliquée au numérique implique de connaitre son impact environnemental, d’agir pour un numérique plus sobre et réfléchi, tout en l’utilisant comme levier au service de la transition écologique.
Si les transitions numérique et écologique bousculent notre quotidien et transforment nos sociétés, elles sont indissociables. La transition écologique sans le progrès numérique est impossible, et la transition numérique doit s’inscrire dans l’exigence écologique. Ces deux transitions doivent donc converger pour promouvoir un progrès maîtrisé et au service d’une modernité respectueuse de l’environnement.
En 2020, la mission d’information sur l’empreinte environnementale du numérique du Sénat appelait à agir au plus vite : si aujourd’hui le numérique représente 2,5 % des émissions de gaz à effet de serre en France, son empreinte environnementale pourrait atteindre jusqu’à 7 % des émissions en 2040. Plus précisément, la phase de production des terminaux numériques (smartphone, écrans, tablettes) représente plus de 75 % de l’empreinte environnementale du numérique (émissions de gaz à effet de serre, consommation d’eau et de ressources). À titre d’exemple, on estime qu’il faut extraire environ 70 matériaux différents pour produire un smartphone, et cela sans compter l’énergie primaire nécessaire à la fabrication. Or, aujourd’hui, 88 % des Français changent de téléphone portable alors que l’ancien fonctionne toujours. De fait, la réduction de l’empreinte environnementale liée à la fabrication des terminaux est un des enjeux prioritaires sur lequel agir.
L’empreinte environnementale du numérique va au-delà des émissions de gaz à effet de serre, et intègre les consommations de ressources non renouvelables, les impacts sur la biodiversité et l’eau et la consommation d’énergie. La croissance du numérique s’accompagne ainsi au niveau mondial d’une augmentation de l’empreinte énergétique directe du secteur, de l’ordre de 9 % par an. De fait, à l’heure où le numérique constitue une solution technologique intéressante pour réduire les impacts environnementaux, l’usage du numérique à un impact sur notre environnement qu’il est nécessaire de prendre en compte dans tout processus de transition numérique. Autrement dit, l’empreinte carbone du numérique croît logiquement à mesure que s’opère la transition numérique de nos économies et de nos sociétés.
Pour faire converger la transition numérique et la transition écologique, plusieurs actions et dispositifs ont été déployés par les pouvoirs publics. Tout d’abord, la loi Anti-Gaspillage et Économie circulaire incite au rallongement de la durée de vie des équipements et à mieux informer les consommateurs. Puis, un dispositif stratégique a été publié sous forme d’une feuille de route gouvernementale intitulée « numérique et environnement ». Elle a notamment permis de formaliser les propositions formulées lors de la Convention citoyenne pour le Climat en faveur de la sobriété numérique. Cette feuille de route a par ailleurs enrichi et alimenté les travaux parlementaires ayant conduit à l’adoption de la loi du 15 novembre 2021 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique (REEN).
La loi Anti gaspillage et économie circulaire (AGEC)
La loi du 10 février 2020 dite AGEC « Anti Gaspillage et Économie circulaire » est le premier texte à fixer des dispositions pour :
- mieux informer et protéger le consommateur ;
- rallonger la durée de vie des produits numériques ;
- obliger l’État, les collectivités et leur groupement à intégrer ces enjeux dans leur politique d’achat.
Les mesures prises en faveur des consommateurs comprennent une obligation, à compter du 1er janvier 2022, pour les fournisseurs d’accès internet, d’informer leurs abonnés de la quantité de données consommées et indiquent l’équivalent des émissions de gaz à effet de serre correspondant (article 13.3). De plus, depuis le 1er janvier 2021, un indice de réparabilité doit être affiché sur certains produits électroniques et électriques (article 16). Une note sur 10 informe le consommateur sur le caractère plus ou moins réparable des produits concernés. Concernant les produits numériques, l’indice de réparabilité existe pour les téléviseurs, les ordinateurs, les smartphones et certains appareils ménages connectés. Au 1er janvier 2024, un indice de durabilité remplacera cet indice de réparabilité. Ce nouvel indice prendra en compte des critères tels que la fiabilité et la robustesse (article 16). Par ailleurs, les fabricants et vendeurs de biens comportant des éléments numériques ont l’obligation de communiquer la durée pendant laquelle les mises à jour logicielles sont fournies pour assurer l’usage normal du bien numérique (article 27).
La loi AGEC met en place des mesures visant à rallonger la durée de vie des produits numériques en obligeant les fabricants à fournir les pièces détachées pendant 5 ans minimum, notamment de petits équipements informatiques et de télécommunications, des écrans et des moniteurs (article 19). De plus, elle permet une extension de la garantie légale de conformité de 6 mois pour les biens ayant fait l’objet d’une réparation (article 22).
Enfin, la loi AGEC oblige l’État, les collectivités et leur groupement à être exemplaires en matière d’achat de biens et services numériques. En effet, à compter du 10 mars 2021, ils ont l’obligation d’acquérir certains biens issus du réemploi ou de la réutilisation. Le décret n° 2021-254 du 9 mars 2021 fixe les objectifs d’achat, en particulier pour les produits numériques (article 58). En complément, et à compter du 1er janvier 2021, l’administration publique, lors de ses achats, favorise le recours à des logiciels dont la conception permet de limiter la consommation énergétique associée à leur utilisation (article 55).
La loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique (REEN)
La loi REEN s’adresse à tous les acteurs de la chaîne de valeur du numérique : professionnels du secteur, acteurs publics et consommateurs, et s’articule autour de cinq objectifs clés.
Premièrement, elle vise à faire prendre conscience de l’impact environnemental du numérique. À ce titre, les articles 1 à 3 prévoient des modules de formation et de sensibilisation au numérique responsable dans les écoles et les établissements d’enseignement. De plus, les formations d’ingénieur doivent intégrer un module sur l’écoconception des services numériques et à la sobriété numérique. Enfin, l’article 4 prévoit un observatoire des impacts du numérique visant à améliorer la connaissance sur la mesure des impacts directs et indirects du numérique sur l’environnement.
Deuxièmement, la loi REEN vise à limiter le renouvellement des appareils numériques au travers de trois axes phares.
- Tout d’abord, elle renforce les dispositions de la loi AGEC en faveur du rallongement de la durée de vie des produits. Plus précisément, elle interdit les pratiques d’obsolescence, y compris logicielle (article 5 à 8). Les informations transmises au consommateur sur les mises à jour des biens numériques doivent être lisibles et compréhensibles (article 9 à 11) et les distributeurs doivent communiquer sur l’existence d’offre de reconditionnés, sur des conseils d’usage et d’entretien pour allonger la durée de vie des produits (article 21 et 22). Enfin, elle oblige les acheteurs publics en compte l’indice de réparabilité pour les produits numériques dans la passation des marchés (article 15).
- Le deuxième axe phare consiste à favoriser le réemploi et la réutilisation. Dans cette direction, l’article 16 prévoit que les anciens équipements informatiques des services de l’État ou des collectivités soient orientés vers le réemploi ou la réutilisation. L’article 18 ajoute les reconditionneurs, en plus des vendeurs professionnels et les réparateurs, comme destinataires de pièces détachées.
- Le dernier axe pour limiter le renouvellement des appareils numériques consiste à mettre des objectifs en matière d’économie circulaire, c’est-à-dire de recyclage, de réemploi, et de réparation à l’aide d’opérations de collecte (article 12 et 13). À ce titre, il est prévu des opérations nationales de récupérations des stocks dormants de téléphone, d’ordinateurs et de tablettes. En effet, entre 54 et 113 millions de téléphones dorment dans les tiroirs des Français selon une étude de l’Afnum.
Le troisième objectif clé porte sur l’adoption d’usages numériques écoresponsables. La loi prévoit la création d’un référentiel général d’écoconception, fixant des critères de conception durable afin de réduire l’empreinte environnementale de ces services (article 25). De plus, une recommandation doit être publiée par les agences compétentes visant à l’information des consommateurs sur l’empreinte environnementale de la vidéo en ligne (article. 26).
Le quatrième objectif de la loi REEN vise à promouvoir des centres de données et des réseaux moins énergivores. À ce titre, le texte renforce les conditionnalités environnementales qui s’appliqueront au tarif réduit de la taxe intérieure de consommation finale d’électricité (TICFE) applicable aux centres de données (article 28). Plus précisément, des mesures de réutilisation de la chaleur fatale, et de limitation dans la consommation d’eau à des fins de refroidissement seront valorisées. Les opérateurs de communications électroniques devront quant à eux publier des indicateurs clés récapitulant leurs engagements en faveur de la transition écologique (art. 29).
Enfin, cette loi vise à promouvoir une stratégie numérique responsable dans les territoires. Il est prévu que les communes de plus de 50 000 habitants définissent au plus tard le 1er janvier 2025 une stratégie numérique responsable (article 35). Le décret n° 2022-1084 du 29 juillet 2022 précise le contenu de la stratégie et les modalités de son élaboration.
La Feuille de route gouvernementale « numérique et environnement »
Fruit de plusieurs mois de concertations, et nourrie par les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, cette feuille de route a été largement diffusée auprès des acteurs de l’écosystème du numérique responsable (entreprises, reconditionneurs, associations, collectivités, etc.) et constitue aujourd’hui un cadre de référence.
Les travaux de la mission d’information sur l’empreinte environnementale du numérique du Sénat (2020), ceux du rapport final de la convention citoyenne sur le climat (2019), puis de la feuille de route du Conseil national du numérique (CNNum) rédigée avec le Haut conseil pour le climat (juillet 2020), mais aussi la publication du rapport de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) intitulé « Pour un numérique soutenable » et enfin le rapport du Haut conseil pour le climat sur l’empreinte carbone de la 5 G (décembre 2020) ont alimenté cette feuille de route.
Le Gouvernement s’est appuyé sur ces travaux pour faire émerger une stratégie nationale dont trois axes ont été annoncés dès octobre 2020, lors du colloque intitulé « faisons converger les transitions ».
- Il s’agit d’abord de développer la connaissance de l’empreinte environnementale du numérique encore trop peu connue des différents acteurs : politiques (au niveau européen, national, local), des entreprises et des individus (en tant que consommateurs et citoyens). En particulier, sa méthodologie de calcul est insuffisamment documentée, ce qui représente un obstacle à la prise en compte de son impact et à la mise en œuvre de mesures de réduction. L’objectif est de trouver des méthodes harmonisées pour quantifier cet impact, car nous avons besoin de données, précises, claires, objectives, et faisant consensus, sur les impacts réels, positifs et négatifs, du numérique sur l’environnement (axe 1).
- De plus, nous devons soutenir un numérique plus sobre en maîtrisant de façon raisonnée l’empreinte environnementale de la fabrication des terminaux, de nos usages des biens et des services numériques (axe 2). Au moment de la fabrication, l’écoconception des équipements et des services doit devenir une nouvelle norme, permettant de réduire la mobilisation des ressources et d’intégrer un principe de durabilité, d’allongement de la durée de vie et de réparabilité. La lutte contre l’obsolescence programmée est également une priorité d’action. Pendant la durée de vie du produit, il s’agit de réduire l’empreinte environnementale liée aux usages, notamment en maîtrisant la consommation énergétique des infrastructures réseau et des datacenters. Mais il s’agit aussi de viser une rationalisation des usages, en sensibilisant les citoyens, en accompagnant les entreprises et en concevant des services publics écoresponsables. En aval, la réparation, le réemploi, le reconditionnement et lorsque ces options sont épuisées, le recyclage, sont de puissants leviers de réduction de l’empreinte du numérique. Il s’agit là encore d’une demande forte de la Convention citoyenne pour le climat. La mise en œuvre de ces axes, créateurs d’emplois locaux, constitue également un enjeu de filière industrielle et d’emploi pour la France.
- Enfin, parce qu’il permet déjà d’optimiser la consommation d’énergie, de réduire nos trajets, d’éviter ou de mieux gérer des déchets, il reste impératif d’innover et d’optimiser pour faire du numérique un véritable outil de la transition écologique (Axe 3). Optimiser à très grande échelle et en temps réel une répartition des ressources contraintes, particulièrement dans un contexte de pénurie, n’est possible que par des réseaux très performants, une très forte connexion des acteurs et une utilisation importante de l’intelligence artificielle. Les exemples sont déjà nombreux en matière de gestion des déchets, d’optimisation de l’utilisation des ressources dans l’agriculture, mais aussi optimisation des flux logistiques et énergétiques, gestion thermique des bâtiments, etc. Pour cela, le Gouvernement soutient massivement l’ensemble des acteurs de la GreenTech et aux autres innovations au service de la transition écologique.
La feuille de route gouvernementale « numérique et environnement » présente 15 fiches actions réparties dans ces trois axes.
On peut citer plusieurs actions mises en place dans le cadre de la feuille de route :
- Le lancement d’une mission par L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) et L’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) pour créer des outils de mesure et d’évaluation de l’impact environnemental du numérique en France (axe 1)
- La publication d’un appel à manifestation d’intérêt non doté financièrement « verdissement du numérique » dans le cadre du plan de relance France 2030 (axe 2)
- Le lancement d’une campagne nationale de sensibilisation est pilotée par l’Ademe à destination du grand public que ce soit les particuliers ou les salariés (axe 2)
Documents complémentaires
- Le rapport de la Convention citoyenne pour le climat
- La proposition de loi du Sénat visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France
- La feuille de route du Conseil national du numérique rédigée avec le Haut conseil pour le climat
- Le rapport de l’Arcep : pour un numérique soutenable
- Le rapport du Haut conseil pour le climat : maîtriser l’impact carbone de la 5G numérique responsable : comment adopter les bons réflexes ?
- Rapport ADEME-ARCEP - volet 2 - Synthèse
- Texte de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique
- Texte de loi Anti-Gaspillage et Economie Circulaire