Intervention de Mme Elisabeth Borne, ministre de la Transition écologique et solidaire – Audition à l’Assemblée nationale

Le Jeudi 30 avril 2020

Seul le prononcé fait foi

Madame la Présidente,
Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs les députés,

Je me réjouis tout particulièrement de cette occasion qui nous est donnée, avec mon collègue Bruno Le Maire, de nous exprimer simultanément devant vous sur les enjeux économiques et écologiques de la crise sanitaire. 
Vous l’aurez sûrement remarqué, Bruno le Maire est un ministre de l’économie qui parle d’écologie, et je suis une ministre de l’écologie qui se préoccupe d’économie.
C’est très bien ainsi et c’est au fond l’illustration que la vieille opposition entre écologie et économie, entre protection de l’environnement et croissance est dépassée. Que nous ne pouvons plus concevoir nos politiques publiques de manière cloisonnée.
L’action du Gouvernement le montre : nous voyons dans la transition écologique une source majeure d’activité, d’innovation, et d’emplois ainsi qu’un puissant levier de réindustrialisation et de compétitivité pour les entreprises. 
Et dans le même temps, nous veillons scrupuleusement à ce que les soutiens que nous consentons dans cette période exceptionnelle ne nous fassent pas dévier de la trajectoire de neutralité carbone que nous nous sommes donnée avant la crise.

Ma première préoccupation est de garder le cap vers la neutralité carbone, parce que la crise écologique n’a pas disparu sous l’effet de la crise sanitaire.
Ce virus nous montre combien nos vies, nos sociétés, nos économies peuvent être bouleversées. Si nous n’agissons pas, elles pourront l’être tout autant par le dérèglement climatique et la destruction du vivant. 
Et les derniers chiffres publiés le montrent encore : le premier trimestre de cette année a été le plus chaud jamais enregistré.
Alors, oui : la transition écologique est plus que jamais nécessaire.
Nécessaire pour sauver des vies humaines. Rien que la pollution de l’air, ce sont plus de 48 000 morts par an en France.
Nécessaire pour éviter des coûts économiques exorbitants. On estime que les primes CAT NAT qui couvrent les catastrophes naturelles (1,7 milliard d’euros en 2018), devraient augmenter de 50 % d’ici le milieu du siècle. 
Nécessaire, aussi, pour lutter contre les pandémies. Car nous le savons : la crise climatique et l’effondrement de la biodiversité peuvent contribuer à leur multiplication. 60% des maladies infectieuses émergentes sont d’origine animale, dont deux tiers sont liés à la faune sauvage. La fonte du permafrost, les écosystèmes perturbés, ce sont autant de menaces virales et bactériennes.

Nécessaire, la transition écologique est aussi une chance pour notre pays.
Elle est une chance pour la réindustrialisation. Une opportunité de croissance et d’emploi. Un levier de compétitivité.
Il y a 10 ans, la croissance verte était un horizon qui pouvait sembler lointain. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : les technologies sont matures.

Les grands constructeurs comme Renault ou PSA ont des usines prêtes à produire massivement des voitures électriques.
Le coût de l’éolien a été divisé par trois, le coût du solaire par 7. Le nombre d’emplois du secteur devrait être multiplié par 10 d’ici 2050.
Les rénovations de grande ampleur des bâtiments sont efficaces et intensives en emplois non délocalisables.

Cette transition écologique est aussi l’occasion de structurer des filières, de faire émerger des champions industriels. Si, par le passé, notre pays a manqué des occasions de le faire, ce Gouvernement a pris l’initiative.

C’est le sens des travaux engagés avec Bruno Le Maire dans le cadre du Pacte productif, pour développer les technologies clés de la transition et pour décarboner les process industriels, pour préparer les grandes ruptures technologiques.
Cette crise sanitaire que nous traversons montre l’absolue nécessité de cette démarche. Nous devons donc la poursuivre et l’accentuer.
Je vous disais un peu plus tôt que nous devions garder le cap dans la crise. Et ne pas reproduire les erreurs du passé.

En 2008, l’écologie avait été la grande perdante de la sortie de crise. L’époque a changé. Nos concitoyens ne comprendraient pas que nous cédions aux voix qui s’élèvent pour demander de diminuer notre ambition.
Certains demandent un moratoire sur les exigences environnementales ou souhaitent retarder la mise en œuvre des réformes. Ce serait une erreur. 
Bien sûr, nous devrons ajuster certains calendriers pour tenir compte de l’impact majeur de la crise actuelle. Mais, je veux être très claire : il n’est pas question de revenir sur le principe ou sur l’ambition des réformes adoptées, ni de les renvoyer aux calendes grecques.
Ce serait une erreur, et même une faute à l’égard des milliers d’entrepreneurs déjà engagés dans la transition écologique. 
Les groupes automobiles français, par exemple, ont investi massivement pour adapter leurs chaînes de production au véhicule électrique.
Renault est maintenant le premier constructeur en Europe dans les ventes de véhicules électriques pour les particuliers ou pour le transport de marchandises. J’ai récemment échangé avec Jean-Dominique SENARD qui m’a confirmé que Renault ne demanderait pas de moratoire sur les objectifs d’émissions des véhicules malgré la crise liée à la situation sanitaire.
Non, le pays n’a aucun intérêt à ce qu’on revienne en arrière. Les filières attendent de la clarté, de la prévisibilité et de la constance. 
C’est pourquoi le Gouvernement a maintenu la publication, la semaine dernière, de la PPE et de la SNBC, qui étaient très attendues et donne aux acteurs un cadre indispensable pour développer l’activité.
Ne pas reproduire les erreurs du passé, c’est aussi exiger des contreparties au soutien que consent l’Etat aux secteurs économiques frappés par la crise.
Bruno LE MAIRE et moi-même avons eu l’occasion de le dire, vous l’avez inscrit dans la loi, la France en défend le principe au niveau européen : les aides de l’Etat aux entreprises stratégiques doivent être accompagnées d’engagements écologiques.

Ces engagements doivent être discutés entreprise par entreprise en fonction du secteur d’activité.
L’aviation en est un très bon exemple. Le soutien de l’Etat à Air France a pour contrepartie deux objectifs clés pour décarboner l’entreprise.
D’abord, la réduction de 50 % des émissions de CO2 par passager/kilomètre pour le groupe à horizon 2030 (par rapport à 2005).
Ensuite, la réduction de 50 % du volume d’émissions de CO2 des vols métropolitains d’ici la fin 2024 (par rapport à 2019).

Pour y arriver, plusieurs leviers sont identifiés. Ils seront repris dans le plan de transformation et de transition écologique attendu sous trois mois.  Je pense :
-    Au renouvellement de la flotte pour réduire de 20 à 25% les émissions de C02 grâce au nouveau model Airbus A220 ou Airbus A350.
-    A l’utilisation des biocarburants, pour atteindre, et si possible anticiper l’objectif de 2% d’incorporation de carburants alternatifs durables d’ici 2025, tel que prévu par la feuille de route nationale ;
-    Au redimensionnement du réseau des vols domestiques, en particulier lorsque qu’il existe une alternative ferroviaire de moins de 2h30 (hors correspondances internationales et ultramarins), et en concertation avec les territoires.

Je crois, enfin, que nous devrons tirer toutes les leçons de cette crise en construisant une économie et une société beaucoup plus résilientes.

Plus résilientes pour faire face à une ère d’instabilité chronique. Car, les crises sont aujourd’hui plurielles, imbriquées les unes aux autres et ont des conséquences en chaîne. 
Un seul exemple : le prix du pétrole. S’il est trop haut, il attise une crise sociale. S’il est trop bas, il impact négativement la compétitivité des énergies renouvelables et des matériaux recyclés.
Dans un monde instable, nous n’avons pas le choix : il nous faut être moins vulnérables, mieux préparés à absorber les chocs que l’avenir nous réserve.

Parce qu’il ne saurait y avoir de prospérité sans protection, sans stabilité.

Concrètement, cela veut dire rendre nos infrastructures moins vulnérables 

  • En accélérant la rénovation thermique des écoles, des hôpitaux, des Ephad,
  • En protégeant toujours plus nos concitoyens contre les inondations ou l’érosion côtière.

Être plus résilient, cela implique aussi de réduire notre dépendance à certains approvisionnements stratégiques venus de l’étranger.

  •  En poursuivant le rééquilibrage de notre mix énergétique pour nous émanciper des énergies fossiles. Pour ne plus dépendre pour notre électricité à 70 % d’une industrie nucléaire dont les opérations de maintenance lourde sont plus complexes en période de crise.
  •  Réduire notre dépendance, c’est aussi relocaliser la production d’actifs stratégiques comme les batteries, les panneaux photovoltaïques, la filière hydrogène.
  • Améliorer notre résilience, c’est également accompagner le monde agricole vers davantage de sobriété dans l’usage des intrants et d’indépendance protéique.

Cette résilience, nous ne la construirons pas tout seul mais avec nos partenaires européens. 
Et la chancelière Angela Merkel l’a rappelé en début de semaine à l’occasion du dialogue de Petersberg : le plan de relance économique doit intégrer la lutte contre le dérèglement climatique et il nous faut investir dans des technologies durables.
La France le sait, l’Europe le sait : nous devons garder l’objectif que nous nous sommes donnés avec le Green Deal.

Voilà, mesdames et messieurs les Députés, en quelques mots ce que je souhaitais vous dire aujourd’hui.

La crise sanitaire que nous vivons ne doit pas nous détourner du grand défi écologique.

C’est en le relevant que nous trouverons les ressorts d’une nouvelle société, plus juste, plus résiliente. Une société qui réconcilie l’écologie et l’économie. Une société qui regarde l’avenir avec confiance.

Je vous remercie.

 

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