Intervention de Barbara Pompili devant les étudiants de l’Université Picardie Jules Verne

Le Mercredi 19 janvier 2022

Seul le prononcé fait foi

 

Mesdames et Messieurs,

Chères étudiantes et chers étudiants,

Bonjour à toutes et à tous,

 

***

Je suis très heureuse d’être avec vous aujourd’hui. 

Heureuse d’être ici, à Amiens, que j’ai l’honneur de représenter comme élue depuis près de 10 ans…

Mais surtout heureuse de pouvoir parler d’Europe et d’écologie avec vous, alors que la ville s’apprête à être le cœur écologique du continent, pendant trois jours.

A l’origine, l’Europe – et même si son étymologie est discutée ! – nous vient des mots grecs eurys, qui veut dire large, et ops, le regard.

 

Princesse phénicienne de la mythologie grecque, l’Europe, c’est donc  cette vaste terre où la vue porte loin

 

C’est un continent qui peut, et qui doit, voir plus loin que l’immédiat, que ce qui saute au regard, pour anticiper les défis et les transformations de ce siècle.

Et quel défi plus structurant, dans les décennies à venir, que l’urgence écologique ?

 

L’Europe que j’ai connue, quand j’étais à votre place, ce n’était pas encore celle, qui en 2022, se fixe de grandes ambitions écologiques.

 

Depuis, les scientifiques nous ont alertés, les catastrophes se sont accélérées, les consciences se sont éveillées…

Mais aussi, tout simplement, les pays européens ont compris que l’écologie, par ses implications, est devenue un domaine profondément régalien.

 

Il suffit de regarder autour de nous !

Les Etats-Unis, pour la première fois en 2020, ont fait entrer un envoyé spécial pour le Climat, [John KERRY] dans leur Conseil de sécurité nationale.

 

Et la Russie a modifié sa Stratégie de défense nationale, en juillet dernier, pour y intégrer les risques écologiques, compris comme une menace nouvelle.

 

Bref : être souverain en matière d’écologie, c’est nous protéger face à des risques majeurs, mais aussi garantir la maîtrise de notre avenir collectif.

 

***

 

Ce nouvel horizon, c’est une formidable réinvention de l’idée européenne.  

 

Car l’Europe est née de cette conscience très forte du fait que les nations européennes ne peuvent réussir qu’ensemble.

Et que, dressées les unes contre les autres, elles ne peuvent qu’échouer.

 

Pour nous, générations qui n’avons jamais connu la guerre, c’est une réalité relativement lointaine, abstraite, faite du papier de nos livres d’histoire.

 

Mais l’Europe était, quand elle est née en 1951, une question de survie face aux conflits sans fin.

 

Alors, à cette époque, des voix se sont élevées, avec une volonté commune : faire mentir le destin, et s’unir autour d’un projet européen.

Cette même volonté doit nous guider aujourd’hui.

 

A titre personnel, depuis ma jeunesse, je suis une Européenne convaincue.

Parce qu’être écologiste, c’est forcément voir au-delà de sa région, de son pays, c’est viser un engagement collectif toujours plus vaste.

Parce que, aussi, j’ai eu la chance d’étudier à Lille, une ville profondément européenne, aux portes du Royaume-Uni, du Benelux, et de l’Allemagne.

 

Alors, aujourd’hui, nous le savons, tout est loin d’être rose en Europe.

J’ai bien conscience que certaines décisions qui ont été prises ces dernières années, notamment le rejet du projet de constitution européenne en 2005, ont pu faire reculer la cause européenne.

 

Bien sûr, nous faisons face aux périls internes de l’euroscepticisme, du nationalisme, et de la tentation du repli…

 

*

 

Mais la réalité, c’est que le  projet politique européen est en train de se revitaliser, et ce, en grande partie autour de la transformation écologique de notre continent.

 

Aujourd’hui, la crise environnementale est bien évidemment un danger pour l’Europe, comme pour le reste du monde.

 

Le dernier rapport du GIEC, le groupe international des experts sur le climat, nous l’a encore rappelé cet été.

Au rythme actuel des émissions de gaz à effet de serre, le réchauffement climatique dépasserait les 3 degrés au cours de ce siècle.

En parallèle, la dégradation de la biodiversité s’accélère au niveau mondial, avec un million d’espèces animales et végétales aujourd’hui menacées d’extinction.

 

Pour éviter ces scénarios catastrophiques, une seule solution : agir vite, et bien.

 

Alors, je sais bien qu’il est profondément injuste que votre génération ait eu à grandir avec le poids de cette urgence.

[J’ai une fille qui a à peu près votre âge, et je pense souvent au fait que l’insouciance qui était la mienne à l’époque ne pourra sans doute jamais être la sienne.]

 

Mais nous ne pouvons pas baisser les bras.

 

L’Europe, écrivait Jean Monnet dans ses Mémoires, se construira dans les crises.

Et c’est, en effet, peut-être l’essence du projet européen.

 

Menaces à la paix, dans les soubresauts des deux guerres mondiales…

Crise économique, en 2008…

Et aujourd’hui, crise écologique

Sont autant d’obstacles qui se mettent en travers du projet européen.

 

Mais autant d’obstacles dont les Européens ont fait des tremplins.

Pour se réinventer. Pour faire des pas de géant.

 

La preuve : récemment, l’Europe, vous le savez sans doute, s’est donné une ambition nouvelle.

 

Avec le Pacte vert, adopté en 2019, les Etats membres ont pris un engagement fort : celui d’être le premier continent neutre en carbone au monde, d’ici 2050.

 

Cet objectif a été inscrit dans le « dur », dans une loi européenne pour le climat.

 

Et la France soutient pleinement cette ambition, qui a notamment été impulsée par la présidente de la Commission européenne, Ursula VON DER LEYEN.

 

Bien sûr, pour beaucoup, ce n’est pas assez rapide ; pour d’autres, il est déjà trop tard.

 

Mais ce qui est certain, c’est que l’Europe a commencé à se réinventer par l’écologie.

Ce qui est sûr, c’est que nous avançons.

 

La crise sanitaire aurait pu faire renoncer l’Europe à ce projet.

 

Bien au contraire.

Plusieurs pays, comme le nôtre, mais aussi l’Allemagne, se sont mobilisés.

 

Le plan de relance européen qui en est ressorti, de 750 milliards d’euros, est ainsi profondément dédié à la transition écologique.

 

Devenir le premier continent neutre en carbone… être à l’avant-garde de la transition écologique… voilà le destin de l’Europe au 21ème siècle.

 

Surtout, parlons franchement. 

Opérer cette transition est aussi une question de souveraineté et un levier essentiel pour accroître notre résilience.

Face à des puissances comme la Russie, la Chine, ou les Etats-Unis, notre seul moyen d’exister dans l’arène internationale est de s’unir.

 

Et c’est pour cela que je considère que l’enjeu des années à venir, l’enjeu de la présidence française de l’Union européenne, la PFUE, qui vient de commencer, c’est de construire une véritable souveraineté écologique européenne.

 

Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire ?

Cela veut dire ne plus dépendre du pétrole et du gaz russe pour nous chauffer l’hiver, mais diversifier nos sources d’approvisionnement, et développer nos propres énergies décarbonées, notamment renouvelables.

 

La souveraineté écologique, c’est aussi de fabriquer dans nos usines, et non à l’autre bout du monde, les technologies vertes de demain, comme les batteries, les panneaux solaires, ou les éoliennes.

 

C’est également sécuriser nos approvisionnements en matériaux critiques pour la transition écologique, comme le lithium ou le cobalt, en recyclant mieux nos batteries électriques.

 

La souveraineté écologique, c’est enfin faire en sorte que les produits que nous importons respectent nos normes environnementales, en matière de lutte contre la déforestation ou de réduction des émissions de CO2.

 

En bref : l’Europe écologique, c’est une Europe de la souveraineté renforcée.

 

Je crois aussi et surtout que l’Union européenne est l’échelle pertinente pour une action efficace sur le plan environnemental.

 

L’Europe, c’est une force de frappe à la mesure du défi écologique qui nous attend.

 

La population de la France, c’est 67 millions d’habitants.

Celle de l’Europe, près d’un demi-milliard.

Le calcul est vite fait.

 

Bien sûr, l’Europe est parfois critiquée pour sa lenteur à aboutir à des compromis…

Pour la conciliation nécessaire des intérêts parfois divergents des Etats membres…

 

Mais c’est le prix du collectif.

Du fait d’avancer à plusieurs.

 

Oui, si nous voulons mener la transition énergétique ç l’échelle du continent, il faut avoir à l’esprit que certains pays, comme la Pologne, produisent 80% de leur électricité à partir du charbon, et ne peuvent donc pas passer à un mix décarboné en un claquement de doigt.

 

Ce dialogue constant, c’est le prix d’un impact décuplé sur la réalité du continent européen.

Et je crois que c’est un prix qui en vaut le coup.

 

Car c’est seulement grâce à ce large marché européen que nous pourrons donner une nouvelle dimension à notre action en faveur de l’environnement.

 

A l’intérieur de ce marché commun, d’abord.

 

Mais à l’extérieur, aussi, par la force d’entraînement dont dispose l’Union européenne vis-à-vis de ses partenaires commerciaux, comme par exemple la Chine.

 

C’est déjà le cas pour le marché automobile : on ne peut pas vendre en Europe des voitures qui ne respectent pas nos normes d’émissions.

 

C’est bien simple : lorsque l’Europe fixe une règle, elle influence le choix de  l’industrie au niveau mondial.

 

C’est dans ce même esprit que la France défend la mise en œuvre d’une « taxe carbone aux frontières ».

L’objectif ? que les produits que nous importons d’autres pays intègrent le prix du carbone émis lors de  leur fabrication, comme c’est le cas pour les produits européens.

 

De même, certains aliments que nous consommons sont parfois à l’origine d’un phénomène  de déforestation dans d’autres pays.

Très concrètement, quand en Europe, nous buvons un café, nous pouvons contribuer à la déforestation en Amérique latine ou en Afrique.

C’est ce qu’on appelle la « déforestation importée »… celle qui résulte du commerce mondial, et dont 16% vient des importations de l’Union européenne.

 

Nous voulons donc mettre en place un instrument pour lutter contre ce phénomène.

Cela nous permettra d’interdire l’importation dans l’Union européenne de certains produits (soja, bœuf, huile de palme, bois, cacao ou encore café…) dès lors qu’il aura été prouvé que leurs conditions de production provoquent de la déforestation.

Cette logique, elle vaut pour le climat comme pour la biodiversité.

Car il ne faut pas se tromper : il n’y a pas d’un côté le changement climatique et de l’autre la perte de biodiversité.

C’est la même urgence, le même combat.

 

De ce fait, il s’agit aussi d’utiliser la puissance du marché européen pour inciter les pays avec lesquels nous commerçons à faire évoluer leurs pratiques… pour mieux protéger, in fine, leur environnement.

 

*

Alors concrètement, il nous reste beaucoup à faire pour construire, avec ambition et sans naïveté, un continent plus durable et plus juste.

 

La première étape, comme je vous le disais à l’instant, c’est de continuer à progresser avec nos partenaires européens.

L’Europe a déjà à son actif des avancées importantes : elle a  acté la fin du plastique jetable.

Et nous nous sommes collectivement engagés à augmenter nos énergies renouvelables, et à diminuer notre consommation d’énergie.

 

Nous avons aussi avancé en France.

Car si cette transition écologique est globale, elle se joue bien sûr tout autant au niveau de notre pays, avec par exemple le plan de relance de notre économie… ou la loi « Climat et résilience », que le Parlement a adopté cet été.

 

C’est cette loi qui interdit, dès cette année, les vols intérieurs lorsqu’il existe une alternative en train de moins de 2h30.

 

C’est cette loi qui interdit la construction de grands centres commerciaux sur des terres naturelles ou agricoles.

 

C’est cette loi qui interdit la circulation des véhicules très polluants dans nos grandes villes… Comme à Amiens, où cela sera mis en place d’ici 3 ans, en 2025 !

 

En bref : nous transformons nos manières de nous loger, de nous déplacer, de consommer, de produire.

En somme, notre modèle de société.

 

Alors, si je suis à Amiens aujourd’hui, c’est bien sûr pour vous parler de tout cela.

Mais c’est aussi parce que, dès demain, nous allons avancer sur ces sujets avec mes homologues européens, lors de trois jours de réunions intenses dans cette belle cité picarde !

 

Nous allons travailler sur des sujets aussi variés que ceux dont je viens de vous parler…

La pollution issue des produits chimiques

Le développement de l’hydrogène vert…

Ou encore les moyens d’assurer une transition écologique juste, pour tous les citoyens, peu importe leur niveau de revenus.

 

***

Chers étudiants,

Voilà ce que je voulais vous dire ce soir.

 

Voilà ce qu’est l’Europe d’aujourd’hui.

Une Europe dont l’ambition grandit un peu plus chaque jour.

Une Europe qui se réinvente pour relever le défi écologique.

Une Europe qui aura besoin que les nouvelles générations, c’est-à-dire vous, reprennent le flambeau.

 

Je vous remercie…

Et je suis à votre disposition pour échanger, et répondre à vos questions !

 

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