Intervention de Barbara Pompili devant la Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets - lundi 8 mars 2021

Le Lundi 8 mars 2021

Seul le prononcé fait foi

Madame la Présidente,
Monsieur le rapporteur général,
Mesdames, messieurs les rapporteurs,    
Mesdames et messieurs les députés,
Bonjour à toutes et à tous,

Aujourd’hui, nous écrivons une nouvelle page de l’histoire de notre pays. Oui, ce qui nous rassemble ici, ce matin, vous et moi… c’est simplement inédit.

Inédit, par l’exercice démocratique qui aboutit au projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui.
Pendant dix-sept mois, 150 citoyens tirés au sort : employés, agriculteurs, retraités, lycéens, infirmiers et médecins, professeurs, chefs d’entreprises, et même publicitaire et pilote de ligne, ont été mis devant les faits. Les principaux constats scientifiques sur le réchauffement climatique ont été partagés avec eux. Les mécanismes qui le sous-tendent leur ont été expliqués par des experts reconnus.

On a donné à 150 citoyens, de manière accélérée, les clefs de compréhension d’un phénomène complexe.
D’un processus qui place une hypothèque sérieuse sur l’avenir de nos enfants et de notre propre espèce. Un processus dont nous sommes paradoxalement les principaux acteurs.

Avec le mandat qui leur était confié – proposer les mesures permettant de réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre de la France d’ici 2030 dans un esprit de justice sociale -, on leur a en quelque sorte demandé de définir ce que la philosophe Corinne Pelluchon décrit comme « une nouvelle manière d’exister ». C’est-à-dire intégrer les limites de la planète dans un nouveau projet de société.

On pourra débattre à l’envi sur le besoin de faire appel à cette convention, les modalités d’organisation, le choix de faire voter les citoyens … N’est-ce pas une dangereuse remise en cause de la démocratie représentative ?
Clairement non ! Nous pouvons être collectivement fiers de la Convention citoyenne pour le climat. Car former des citoyens pour leur permettre de mieux prendre part à la vie de la cité, c’est la vocation émancipatrice de la République.

La beauté, la puissance de la République c’est aussi d’offrir un cadre qui permet de régler par le débat, par le consensus, les principales questions qui travaillent notre société.

Mesdames et messieurs les députés,
Soyons clair, cette expérience de démocratie participative, ne peut en aucun cas se substituer aux institutions de notre République. Ni au Parlement, ni au Gouvernement.

C’est ici que la Nation se retrouve pour décider d’elle-même.

C’est ici que naissent les grandes lois qui changent le pays.

Et c’est ici que nous construisons la République écologique de demain.

Par l’ampleur des enjeux qu’il couvre, par l’esprit de transformation concrète, dans la vie, dans le quotidien des Françaises et des Français, le projet de loi que je porte sera, j’en suis sûre, une pierre majeure de cet édifice.

Il ne s’agit plus seulement d’embarquer 150 citoyens dans la transition écologique mais 67 millions de Françaises et de Français.

Et nous devons le faire dans un cadre contraint. Car nous savons que le moindre recul nous éloignera de la trajectoire des accords de Paris.

Et je sais que nous partageons toutes et tous ici le même sens de l’urgence.

L’urgence d’aller au-delà des grandes règles, des grands principes proclamés puis oubliés, des grands objectifs.
L’urgence d’incarner l’écologie au quotidien, dans la vie des Françaises et des Français.
De dessiner un chemin où la somme des actions individuelles et collectives, des transformations, petites ou grandes, va construire une France écologique et résiliente.

Et c’est précisément l’ambition de ce projet de loi, la même que nous portons depuis le premier jour du quinquennat.

Bien sûr, certains viendront toujours dire qu’on pourrait aller plus vite, plus loin.

D’autres diront, au contraire, qu’il faut arrêter d’embêter les Français.

Mais, voyez-vous, moi, je ne crois pas à l’écologie du tout ou rien.

Je crois au concret, à la construction d’un changement durable.

L’écologie qui transforme le pays en profondeur au profit de la santé des Français, de notre cadre de vie, de nouvelles activités économiques.

Et lorsque je relis une nouvelle fois ce projet de loi…

La transformation dans la vie des Français, elle est là.

L’ambition écologique, elle est là.

L’esprit de la convention, il est là.

Avec cette loi, demain, l’Ecole de la République formera les éco-citoyens du XXIème siècle. Chacun aura accès à une information sérieuse pour faire des choix de consommation éclairés, c’est tout le sens du titre I, Consommer.
Avec cette loi, demain, notre économie accélérera sa décarbonation. La transition écologique va entrer au cœur des entreprises à travers les instances de représentation des salariés. La commande publique prendra une nouvelle dimension pour accroître le verdissement de l’économie.

Le développement des énergies renouvelables sera mieux ancré à l’échelle de chaque territoire pour renforcer l’acceptabilité des projets. Voici les enjeux du titre II, Produire et travailler.

Avec cette loi, demain, la transition vers les nouvelles mobilités sera encore plus rapide. Les zones à faibles émissions pour les villes de plus de 150.000 habitants vont enfin mettre un terme au modèle du « tout voiture » au bénéfice d’une bonne articulation entre parkings relais, transports en commun et vélo.

Avec bons sens nous arrêterons de prendre l’avion lorsqu’il existe une alternative en train en moins de 2h30. Ce sont les objectifs du titre III, Se déplacer.

Avec cette loi, demain, nous allons enfin mettre un terme à une aberration en divisant par deux le rythme d’artificialisation des terres. Je le rappelle, chaque année ce sont 20.000 à 30.000 hectares qui disparaissent.

Nous allons aussi éradiquer les passoires thermiques d’ici 2028 et leur mise en location, en accompagnant les propriétaires. Ce sont deux marqueurs majeurs de ce texte qui portent l’ambition du titre IV, Se loger.

Avec cette loi, demain, notre modèle agricole et alimentaire se transformera plus rapidement au profit d’une agroécologie qui irriguera nos territoires. Nous allons réduire notre utilisation d’engrais azotés. Nous nous donnons les moyens de renforcer la lutte contre ce qu’on appelle la déforestation importée. Une alimentation plus saine et plus équilibrée sera encouragée. C’est le projet du titre V, Se nourrir.

Avec cette loi, demain, ceux qui porteront atteinte à l’environnement seront punis plus sévèrement, c’est le cap que dessine le titre VI.

Alors oui, c’est bien une bascule culturelle globale que nous enclenchons.

J’entends bien la petite musique qui voudrait que telle proposition ne soit pas mise en œuvre à 100 %, pas complétement, pas comme ceci ou cela.

Mais gouverner, c’est faire des choix.

C’est assumer en responsabilité les enjeux divers, complexes, d’une société moderne.

C’est construire un chemin pour transformer le pays. Aller vers un objectif mais en garantissant toujours l’acceptabilité et la mise en œuvre des mesures proposées.

Et, je le répète, sur ce chemin, nous devons embarquer, non plus 150 citoyens, mais 67 millions de Françaises et de Français.

Alors, aujourd’hui, partant des propositions de la Convention, le Gouvernement vous présente ce texte, avec au cœur l’idée de trouver un chemin… une voie, pour répondre à l’urgence écologique en assurant des conditions socialement acceptables pour chacune et chacun.

Et c’est peu dire que la tâche est difficile…

Mais, je pense que nous y sommes arrivés. Nous avons trouvé ce chemin de crête.

Et je crois qu’au-delà des notes, des moyennes, des barèmes, c’est bien ce qu’il faut voir dans cette loi :
Bien sûr, cette loi, elle ne peut pas être prise isolément. Elle s’inscrit dans la dynamique de ce que nous avons réalisé à l’échelle de ce quinquennat.

En vous présentant, Mesdames et Messieurs les députés, les lois qui font évoluer notre modèle de société : loi énergie-climat, loi d’orientation des mobilités, loi anti-gaspillage et pour une économie circulaire, loi agriculture et alimentation.

En agissant au niveau réglementaire, nous l’avons fait par exemple en interdisant les nouvelles chaudières au fioul en 2022.

En prenant des décisions courageuses pour renoncer à de grands projets datés : Notre-Dame des Landes, Europa City ou Montagne d’Or.

En mobilisant les moyens financiers nécessaires, nous l’avons fait en déployant 30 milliards d’euros du plan de relance spécifiquement dédiés au verdissement de notre économie.

En portant le combat encore plus fort au niveau européen et international, en vue des grands rendez-vous de cette année comme pour renforcer le marché carbone européen et promouvoir un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union.

Ce projet de loi vient donc compléter l’arsenal écologique de la France. Il vient amplifier les efforts.

Et surtout, je crois qu’il vient créer un effet boule de neige, un effet catalyseur.
On peut certes quantifier une partie des effets d’un texte ambitieux comme celui-ci.

Des zones à faibles émissions ? C’est 4,5 millions de tonnes de CO2 en moins d’ici la fin de la décennie.

La fin des passoires thermiques ? C’est 2 millions de tonnes de CO2 en moins.
Et je pourrais continuer.

Mais, l’écologie c’est beaucoup plus qu’une affaire d’additions et de tableaux.
Qui peut quantifier la transformation profonde de la vie de nos concitoyens que nous cherchons à engager ?

Qui peut dire combien de tonnes de CO2 en moins pour des publicités qui promeuvent le covoiturage, la réparation ?

Pour l’éducation à l’environnement qui influence durablement les choix de consommation de millions de Français ?

Mesdames et Messieurs les députés, je le crois profondément, cette loi remet la France en cohérence avec elle-même.

Avec ce que nos concitoyens ressentent.

Avec ce que nous ressentons, chacune et chacun.

Vous le savez comme moi, vous le voyez dans vos circonscriptions : depuis des décennies, notre pays vit sur une idée fausse. On construit toujours plus, toujours plus loin, en éliminant toujours plus de terres agricoles et d’espaces naturels.

On étend les villes, on éloigne les Français les uns des autres, on allonge les distances, on enferme nos concitoyens dans la dépendance à la voiture pour leur dire après que « ça pollue ». Bref : on crée consciencieusement les conditions pour distendre et rompre le lien social.

Alors  regardons la réalité en face…

Donner aux consommateurs les informations nécessaires pour qu’ils puissent faire un choix éclairé et le choix de ce qu’ils veulent manger : c’est du bon sens !

Ne pas prendre un avion quand il y a une alternative ferroviaire : c’est du bon sens !

Ne plus faire de centres commerciaux au milieu des champs : c’est du bon sens !

Punir plus fermement ceux qui portent des atteintes graves à l’environnement et pénalisent l’avenir de nos enfants : c’est du bon sens !

Alors, oui, avec cette loi nous avons les ingrédients pour enfin renverser ce modèle.

Nous allons non seulement protéger la planète de manière globale, préserver la nature qui nous entoure,  mais aussi contribuer à reconstruire notre vivre ensemble.

Mesdames et messieurs les députés, voilà un exemple d’héritage qui fera date dans l’histoire de notre pays.

Alors, Mesdames et Messieurs les députés, ce texte d’ambition, de terrain, de concret, gardien de l’esprit de la Convention citoyenne, maintenant : il est à vous, les représentants de la nation.

A vous de l’enrichir.

A vous de le préciser.

A vous de le compléter.

A vous d’aller plus loin.

Mais, je tiens à le dire, j’ai bien la « louable intention » de ne pas soutenir ce qui viendrait réduire l’ambition de ce texte, mesdames, messieurs les députés.

Parce que c’est une question d’exigence.

De cohérence.

De responsabilité.

Nous le devons aux femmes et aux hommes qui ont donné de leur temps pour répondre à l’appel du Président de la République.

Nous le devons à notre planète. A notre pays. A nos concitoyens. Aux futures générations.
Et vous pouvez compter sur moi pour maintenir ce cap ambitieux et être à vos côtés pour enrichir ce texte majeur.

Je vous remercie et je suis à votre disposition.

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