Le Jeudi 2 septembre 2021
Co-construite par l’ensemble des parties prenantes (élus locaux, citoyens, professionnels, experts…) la démarche “Habiter la France de demain” remet à plat une vision à la fois réaliste du futur des villes et cherche à proposer un avenir désirable et positif aux Français. À partir du 30 août 2021, la démarche entre dans sa dernière phase : 6 semaines thématiques de réflexions organisées autour de tables rondes.
6 semaines de réflexion pour conclure la démarche "Habiter la France de demain"
Semaine | Thème de la semaine |
30/08 - 05/09 | Impact de la crise sanitaire sur le lieu de vie : exode ou statu quo ? |
06/09 - 12/09 | Intérieurs / extérieurs : bien vivre dans son logement |
13/09 - 19/09 | Rénover, réhabiliter, transformer : de la qualité de vie à la protection de la planète |
20/09 - 26/09 | Travailler, se déplacer, consommer, habiter : l’alliance des possibles |
27/09 - 03/10 | Vivre ensemble, mixité sociale : dépasser les promesses |
04/10 - 10/10 | Aménagement, construction, urbanisme : concilier durable et désirable |
Le 14/10 |
Habiter la France de demain : réconcilier les contraintes |
Table ronde n°5 : mixité sociale, une vraie volonté de faire mieux
La 5è table ronde de la démarche Habiter la France de demain, abordait la question de la mixité sociale dans les logements et les quartiers. Un sujet délicat qui adresse à la fois l’immeuble, le quartier, la politique de la ville, les équipements et l’école publique. Rendre les futurs logements sociaux plus acceptables par les élus et les riverains passera par plus de concertation et plus de qualité des biens proposés. La prise en compte du parcours résidentiel des attributaires permettra aussi de mieux planifier les investissements, de mieux les localiser et de mieux les affecter. C’est par un ensemble de démarches vertueuses que la mixité sociale aura une chance de se développer à plus grande échelle.
Compte-rendu de la table ronde
En résumant ses travaux sur l’application de la loi SRU, Grégoire Fauconnier explique que la loi a des effets bénéfiques sur le logement social, mais pas dans les proportions qui étaient attendues. Il souligne une contradiction entre la forte construction de logements durant 20 ans et le faible taux de logements sociaux qui y est associé.
En prenant l’exemple des Yvelines — département qui contient des grandes villes avec de vraies disparités de moyens, des villes moyennes, des villages et un territoire agricole — Grégoire Fauconnier observe que l’inventaire SRU doit tenir compte de certaines composantes : les résidences étudiantes et les maisons de retraite, incluses dans l’inventaire, n’assurent pas celui de répondre aux besoins de logement des familles, ni de participer à une mixité sociale.
Plusieurs facteurs expliquent le déficit des communes : la mauvaise image des logements sociaux, l’opposition des riverains, le manque d’engagement des maires qui ne prennent pas de risque face à leurs administrés. Grégoire Fauconnier souligne aussi un paradoxe sur le fait qu’une majorité de la population est d’accord sur le principe des logements sociaux, à condition qu’ils ne soient pas construits à côté de chez eux.
Le premier débat s’ouvre sur la recherche d’idées pour lever les freins à la construction de logements sociaux. Un premier consensus éclaire le fait que, même avec un résultat décevant en volume, la situation aura été bien pire sans la loi SRU. Sa pérennité semble obligatoire pour l’ensemble des intervenants, avec la suggestion d’étendre son périmètre.
La défiance que l’on note vis-à-vis des logements sociaux peut être contrecarrée par une meilleure insertion des immeubles dans leur environnement. Proposer des résidences agréables et bien équipées facilite le mixage des attributions et l’acceptation par les riverains. Soulevée par Cécile Mazaud, présidente de Foncière Logement, la question de la « fierté d’habiter » un lieu est déterminante. Avec des logements aux très bonnes prestations dans des quartiers qui n’attirent pas, on joue sur deux tableaux : meilleure acceptation de la résidence sur la commune, et plus de mixage des populations aux revenus différents. Autre point intéressant : bâtir sur une friche industrielle, par exemple, car l’immeuble participe à l’embellissement du quartier et il sera donc mieux accepté.
Pour autant, la stratégie de développement des logements sociaux doit être globale, à l’échelle de la ville et surtout des quartiers, et elle doit s’inclure dans la politique d’équipements publics, de transport et d’école. A Rennes, où la population s’accroit de plus de 5 000 habitants par an et l’offre HLM ne suffit plus, la ville met en œuvre un rééquilibrage entre les communes de la métropole pour ne pas concentrer les logements sociaux. Rennes expérimente aussi le loyer unique pour les HLM depuis 2018, une source bénéfique pour la mixité sociale. Avec le loyer unique, le coût d'un type de logement (T2, T3, etc.) est le même, quelles que soient sa localisation et sa date de construction. Les ménages peuvent ainsi choisir plus librement un quartier ou une commune, le montant du loyer se calant sur le niveau d'APL auquel donne droit le logement.
Les territoires ont donc besoin de bien anticiper ce que sera leur progression démographique dans le temps. Or, l’intercommunalité n’a pas toujours les moyens d’anticiper ce défi. La nécessité d’un dialogue plus soutenu entre communes fait sens.
Parmi les millions de personnes en recherche de logement, une partie appartient à une catégorie « entre deux » : trop de revenus pour bénéficier d’un logement social, et pas assez pour accéder au parc privé. Anne-Sophie Thomas a co-fondé Gestia Solidaire en 2020, une agence immobilière au concept innovant qui donne accès à toutes les personnes ayant des revenus mais peu de garanties (étudiants sans garant, actifs sans CDI et familles monoparentales avec des petits revenus). Aux propriétaires particuliers, Gestia Solidaire apporte des conseils pour qu’ils bénéficient de déductions fiscales (loi Cosse) et qu’ils acceptent de proposer leurs biens à des prix abordables. L’agence utilise la garantie VISALE pour rassurer le propriétaire et pour valoriser le bien.
Cette approche responsable de la location joue un rôle dans la mixité sociale, dans le sens où elle permet à des actifs de se loger dans des immeubles où ils n’auraient jamais pu entrer via les agences immobilières classiques. https://gestia-solidaire.com/
La prise en compte du parcours résidentiel des occupants revient plusieurs fois dans la discussion. C’est aller au-delà de la simple attribution d’un appartement en fonction des critères de revenus et de quotient familial, car les recompositions familiales, les changements d’emploi, les divorces ont une incidence sur le logement. Il faudrait penser le projet de construction et de gestion locatif par rapport au projet de vie du futur occupant.
Inscrire une vision du quartier à long terme passe également par de l’ingénierie financière, qu’il s’agisse de réhabilitation ou de construction. Une mixité sociale encouragée tient à l’exploitation pleine et entière des conditions de gestion locative. Conscients de l’enjeu, certains bailleurs, tels CDC Habitat, sont prêts à oser les montages complexes qui permettent d’insérer du logement intermédiaire dans des endroits où personne n’y avait pensé.
L’analyse de la durée de présence d’un locataire serait aussi un bon indicateur pour le bailleur. Ce que constate Foncière Logement sur son parc, c’est que lorsque l’une de leurs résidences est à proximité d’un collège très mal noté, les familles quittent les lieux quand les enfants passent en 6è. « Inversement, souligne Yanick Le Meur, directeur général de Foncière Logement, nous connaissons une résidence très demandée dans les quartiers Nord de Marseille, car le directeur de l’école primaire a une très bonne réputation, contrairement au quartier ».
Christophe Kerrero, Recteur de l’académie de Paris et d’Ile-de-France, précise que l’offre scolaire peut être une manière d’aider la politique de mixité sociale, en plus de celle du logement. La réforme d’Affelnet, le dispositif d’aide « Devoirs faits », les Cordées de la réussite en sont 3 exemples concrets. « En favorisant le brassage social dans les lycées parisiens, on permet déjà à des jeunes d’origines différentes de se fréquenter, d’apprendre à se connaître. Pour garantir plus de mixité, où qu’elle soit, le travail passe par la conviction et la patience. Quand on réfléchit tous ensemble, élus, bailleurs sociaux, éducation nationale, représentants des parents d’élèves, on voit que l’on a tous à y gagner ».
Les termes de logement social et de HLM subissent une connotation de résidents pauvres, ou « à problème ». Or, comme le soutient Habitat & Humanisme, les implantations de résidences très sociales dans des quartiers « chics » ont toujours été une réussite. Elles devraient être bien plus nombreuses. Les associations plaident pour plus de communication vers les élus, avec une mise en lumière d’exemples d’intégration réussie. Une réflexion nouvelle, hors des raisonnements en silos, donnerait plus de chance de développement. « On aimerait travailler sur les conditions d’accès aux résidences sociales avec des dispositifs plus souples pour accompagner la personne, explique Céline Beaujolin, directrice générale de Habitat & Humanisme.
L’intermédiation locative permet d’y répondre, mais il faudrait multiplier les dispositifs ». Une façon de rendre le logement social plus acceptable est de pouvoir le lier à des professions de première ligne dont toute la communauté a besoin (cf. crise sanitaire). Ainsi, construire un immeuble de logements sociaux tout près d’un hôpital pour que les soignants puissent habiter au plus près de leur lieu de travail, est très acceptable par les riverains comme le prouve l’opération de CDC Habitat à Bordeaux.
L’association Voisins Malins a pour vocation de créer du dialogue et de la communication au sein des quartiers à forte concentration de logements sociaux. C’est un levier à l’échelle très locale qui joue un rôle dans la mixité sociale, car l’association fait en sorte que les habitants comprennent, connaissent et apprécient leur environnement. Le travail en porte à porte des salariés de Voisins Malins, tous habitants de la résidence où ils opèrent, crée un sentiment de considération et de contribution qui améliore la vie dans la cité. C’est aussi une source d’informations qui remontent vers les bailleurs sociaux. https://www.voisin-malin.fr/
« Les politiques intercommunales d’attribution sont le résultat des politiques nationales, parfois sans aucune prise en compte des éléments locaux, précise Thierry Laget, directeur général adjoint de CDC Habitat. On pourrait faire une action plus territorialisée de ces politiques d’attribution avec des priorités davantage partagées entre les bailleurs sociaux. » Durant le débat, la question de la sécurité des quartiers est abordée en rappelant qu’elle est primordiale pour assurer le « vivre ensemble » et qu’elle relève principalement du domaine régalien. En remerciant l’ensemble des participants pour cet échange d’idées et de propositions, Emmanuelle Wargon a indiqué que : « L’accès aux services fondamentaux est essentiel pour promouvoir le développement du logement social. Si le ministère du Logement peut être un catalyseur sur le sujet, il ne pourra pas agir tout seul ».
Table ronde n°4 : vers une hybridation des villes pour allier envies et nécessités
En ouvrant la table ronde du 21 septembre, Emmanuelle Wargon a souligné combien la crise sanitaire a accéléré l’évolution des lieux de vie, de travail, de loisir, de consommation: ils suivent une nouvelle tendance qui indique que les Français veulent vivre autrement, avec moins de temps perdu dans les transports pour les trajets domicile-travail. Les débats ont abordé le sujet de la mixité fonctionnelle en s’attardant plus particulièrement sur la question des tiers lieux puis de la ville productive.
Compte-rendu de la table ronde
Pendant le confinement, le logement est devenu un point central de la préoccupation des Français avec la concentration de toutes les activités : espace de vie, de travail pour certains, de loisirs et de consommation. La crise sanitaire a aussi limité tous les déplacements. On trouve alors un intérêt accru pour les objets connectés dans les logements, et les façons de consommer changent : plus de commerce en ligne et plus commerces de proximité. D’un point de vue global, Sandra Hoibian, directrice du pôle Société au CREDOC note une envie affirmée des Français pour « faire venir le monde à soi », et un désir d’aménager plus que déménager.Six Français sur dix pensent que le logement possède une place particulière dans leur vie quotidienne.
Le développement du télétravail demande souvent de partager ou de répartir différemment les espaces chez soi. Un Français sur deux se dit prêt à partager un espace extérieur (jardin, garage, atelier…) mais pas à l’intérieur du domicile. Sandra Hoibian rappelle cependant que le télétravail ne concerne que 30 % des actifs… et que 66% sont des cadres et seulement 6% sont des ouvriers. Le télétravail n’est donc pas une généralité pour l’ensemble des Français. Des différences sont perceptibles dans la manière de recourir au télétravail. On observe des inégalités de genre qui s’installent au travers de la possibilité d’avoir un espace à soi dans son logement ou non.
L’étude du CREDOC insiste également sur le désir de proximité qui n’est pas nouveau mais qui a tendance à s’amplifier selon les épisodes de la vie. Les aménageurs misent sur l’intensification des usages de proximité pour conjuguer l’espace et le temps. Des réflexions sur la création d’espaces multi-usages émergent pour déspécialiser les quartiers et adopter une vision transversale des espaces dans les documents d’urbanisme et les permis de construire.
Les confinements ont montré que l’on pouvait travailler et vivre selon de nouveaux modèles qui bousculent ceux qui séparent distinctement les lieux où l’on travaille de ceux où l’on habite. Une préoccupation majeure des Français est de ne plus perdre de temps dans les transports sur les trajets domicile-travail.
Autour de la table, on s’accorde à dire qu’il est nécessaire d’apprécier conjointement les notions d’espace et de temps, dans l’aménagement des villes. L’aspiration a plus de confort chez soi, avec plus de verdure alentour, plus de proximité de consommation et plus de lien social dans le quartier interroge les villes et les décisions qu’elles doivent engager. De plus, une réflexion a tendance à émerger sur les espaces multi-usages dans les villes, l’utilisation d’appartements partagés pour redéfinir les communs ainsi que l’implantation d’espaces de co-working dans des zones à activités tertiaires.
Lyon, par exemple, a établi une charte locale pour que chaque construction neuve participe à l’acceptation du quartier et à son amélioration. L’ambition de la ville — produire 9 300 logements sociaux d’ici 2026 — s’appuie sur un travail collaboratif avec les bailleurs sociaux qui doivent désormais prendre en compte le télétravail et ses incidences.
L’obligation d’intégrer les nouveaux modes de travail dans toute réflexion urbaine, a aussi une incidence sur les villes moyennes. « Les gens vont de plus en plus habiter là où ils dorment. C’est une opportunité historique d’engager des cercles vertueux de revitalisation des territoires, qui s’inscrit d’ailleurs dans les dispositifs Action cœur de ville et Petites villes de demain », estime Stephan de Faÿ, directeur général de Grand Paris Aménagement.Il rappelle également que la crise sanitaire représente une « chance » en matière environnementale ainsi qu’en matière d’aménagement du territoire pour s’intéresser davantage à la question du pavillonnaire qui semble marginalisée dans les réflexions sur la diversification des usages.
Face à ces nouvelles notions, les promoteurs ont bien conscience que l’on évolue vers des principes d’aménagement hydrides qui ont une incidence jusqu’à la maille du quartier. Prenant en compte la transversalité du télétravail qui impacte à la fois le bureau, le logement, le mode de transport, Bernard Mounier, président de Bouygues Immobilier, rappelle néanmoins que : « Pour les promoteurs, le problème principal reste le foncier. »
Interpellée sur l’engagement de l'État, Emmanuelle Wargon indique que l’État continue d’intervenir sur le sujet de la ville dense, mais qu’il ne peut pas résoudre tous les problèmes. « C’est un travail collaboratif entre toutes les parties prenantes », ajoute-t-elle. L’exemple du réaménagement des quartiers de gare du Grand Paris Express est révélateur puisque les infrastructures de transport financées par l’Etat doivent conduire à des mutations profondes des quartiers qui les accueillent, pour créer un choc d’offre de logement. Ce type de projet touche plusieurs items à la fois : le transport collectif, les logements autour créés ou réhabilités, les commerces qui vont bénéficier d’une meilleure zone de chalandise, les espaces de travail proposés dans une forme classique ou novatrice, et même des petites entreprises de production.
Pour le sociologue Bruno Marzloff, il est évident que le numérique a miné la séparation lieux de vie et lieux de travail. « Il est naturel qu’on arrive à cette explosion vers une organisation en archipel : le siège où l’on travaille avec d’autres fonctions, les limites du domicile, des lieux multifonctionnels à inventer où l’on pourra accéder à d’autres ressources qui permettront de limiter les déplacements. Il existe un paradoxe entre l’intensité de la demande de proximité et le développement du « à distance ». »
La question du télétravail s’est naturellement ouverte sur celle des tiers-lieux, un phénomène en pleine expansion observé avec attention par les aménageurs. Longtemps méconnus, leur nombre ne cesse d’augmenter (2500 en 2021, +3000 en 2022), au carrefour des transitions numériques, écologiques, économiques et sociales. « Il s’agit du plus large mouvement citoyen jamais observé depuis celui de l’éducation populaire et les Maisons des Jeunes et de la Culture », précise Patrick Lévy-Waitz, président de France Tiers Lieux. Si la majorité des tiers lieux sont des espaces de co-working, on note qu’ils concernent également des ateliers de fabrication numérique, des lieux culturels, des ateliers artisanaux partagés, des lieux de recherche sociale, des jardins. 150 000 personnes travaillent dans un tiers-lieu.
Marie-laure Cuvelier, secrétaire générale de France Tiers-Lieux, précise que les tiers-lieux ne se décrètent pas, mais qu’ils naissent à partir d’un besoin localisé. « Nous recommandons d’adosser une AMU (assistance à maîtrise d’usage) aux projets de tiers-lieux, car la méthode est très importante ». Depuis le lancement du programme national de soutien aux tiers-lieux, l'État s’est largement mobilisé pour leur développement.
Le second thème de débat s’est appuyé sur la présentation des travaux du PUCA sur « la ville productive » par Hélène Peskine, secrétaire permanente. Elle explique que derrière l’expression se trouve un retournement de perspective : penser les villes depuis les lieux de l’activité et la place des travailleurs, et plus uniquement du point de vue des résidents. Ce changement de point de vue a des conséquences concrètes et spatiales autour de 4 enjeux principaux : la relocalisation de filières industrielles dans les territoires, le retour d'une forme d'activité productive en ville dense, l'avenir du bureau, et l’accompagnement de modes de consommation plus responsables et leurs implications logistiques.
Rendre visible la ville productive demande d’accepter, d’une part, une certaine forme d’industrie au cœur des villes comme cela existe déjà (imprimeries, brasseries, atelier d’artisans…), et de permettre, d’autre part, à de nouvelles activités de s’implanter. Les produits manufacturés « made in Paris » en sont un exemple concret. Mais, là encore, le prix du foncier, donc des loyers, reste un obstacle dans les métropoles. Marthe Pommié, responsable du programme « Nouveaux lieux, nouveaux liens » de l’ANCT, cite l’exemple des manufactures numériques, capables de faire aussi bien de la production de masse que de la petite série, et qui peuvent tout à fait s’insérer dans des écosystèmes très locaux, en milieu rural comme au cœur des villes.
Si le numérique participe à ce modèle de ville productive, les bâtiments eux-mêmes peuvent influer sur le concept, à condition qu’ils aient été conçus dans une forme « agnostique », selon l’expression d’Emmanuel LAUNIAU (Quartus) donc modulable au fil du temps. Les idées de permis de construire délivrés sans affectation préalable pour un seul usage, et l’adaptation des PLU sont évoquées dans ce sens.
En synthèse, Emmanuelle Wargon retient qu’il faut maintenant définir ce qui doit être fait à distance et ce qui doit être fait à proximité : « Le modèle qui séparait les lieux où l’on travaille des lieux où l’on habite est obsolète. Il existe une ambition partagée sur de nouveaux modèles à inventer. C’est l’un des objectifs du programme Habiter la France de demain. »
Idées à retenir :
- Exemple de « Citydev Brussels », politique publique lancée dans les années 1960 pour la rénovation urbaine, la création d’espaces pour les entreprises et les projets mixtes (faire cohabiter logements et entreprises dans un même quartier). Ce type d’exemple permet de faire de l’implantation d’activités productives dans la ville. Quelles sont nos missions ? | citydev.brussels (Mme. Peskine, PUCA)
- Revoir la destination des bâtiments en redéfinissant les permis de construire. Assumer que l’on ne sait pas à quoi va servir un bâtiment quand on va le construire. Miser sur les permis d’innover. La copropriété est l’un des freins les plus importants au changement d’usage des bâtiments. Revenir sur les principes traditionnels (Le Corbusier, Charte d’Athènes) pour repenser les PLU et leurs zonages (M. De Fay, Grand Paris Aménagement)
- Créer des modèles de bâtiments modulables (M. Delannoy, Caisse des dépôts)
- L’État doit porter une ligne directrice générale sur l’aménagement du territoire afin d’éviter les disparités de traitements de certains territoires en France (M. Mounier, Bouygues Immobilier)
Plusieurs points à retenir selon Emmanuelle Wargon :
-Travailler sur une redéfinition du modèle d’aménagement des entrées de ville (enjeu du foncier artificialisé)
-Mieux prendre en compte la question des lotissements et de la proximité des services
-Travail sur les cœurs de ville
-Bâtiments ajustables, bâtiments agnostiques : mutabilité à l’échelle du quartier
-Tiers-lieux : accompagner le télétravail avec des lieux sorties de projets locaux et mixtes
-Question du foncier : rôle d’un travail partenarial État/opérateurs sur les foncières pour transformer la gestion du foncier.
Table ronde n°3 : Rénovation globale et transformation : le changement d'échelle au coeur du débat
Dans son introduction à la 3ème table ronde « Habiter la France de demain », Emmanuelle Wargon a rappelé l’enjeu du thème Rénovation / Transformation : le changement d’échelle. La rénovation énergétique est un succès mais pourrait-elle susciter une rénovation plus large des logements pour plus de confort et d’adaptation ? La transformation des immeubles de bureau en logements reste un vrai sujet d’étude, avec un formidable gisement à exploiter dans les prochaines années. Mais pour parvenir à une massification aussi bien de la rénovation globale que de la transformation, les pouvoirs publics et l’ensemble de la filière vont devoir trouver des terrains d’entente. Des solutions innovantes existent et d’autres vont voir le jour car il y a un consensus général sur l’importance et l’intérêt du sujet.
Compte-rendu de la table ronde
Les statistiques de l’ONRE sur la performance énergétique du parc de logements montrent que les aides publiques à la rénovation énergétique sont un véritable succès, et que tous les types de foyer s’engagent dans ces projets. Les chiffres attestent aussi que cette rénovation énergétique se fait principalement geste par geste. On notera que 60 % des économies d’énergie associées à des gestes aidés portent sur le chauffage et l’eau chaude. Emmanuelle Wargon précise que ces travaux de l’ONRE éclairent le gouvernement sur les étapes d’accompagnement qui sont à l’étude sur la rénovation globale.
Mickaël Nogal, député de Haute-Garonne, souligne le niveau d’engagement sans précédent de l’État pour le financement des aides publiques qui conduit à une accélération de la rénovation énergétique. Très vite, la question de la rénovation des logements sociaux est soulevée par Sylvain Robert, le maire de Lens : « Dans une ville comme Lens, il y a 50 % de logements sociaux avec des citoyens en grande précarité. Le rôle des bailleurs sociaux est donc fondamental pour la rénovation, qu’elle soit énergétique ou globale. »
Dans le secteur privé, la question de la rénovation entraîne celle de l’amortissement du bien au regard du coût des travaux. Samuel Minot, Président de la Commission économique de la FFB, souligne : « Il y a une difficulté à choisir entre la rénovation thermique et la rénovation d’usage. Sans un effort d’aides sur la rénovation d’usage, la situation n’évoluera guère. » Un point de vue partagé par le président de la SNPI, Alain Duffoux, qui pense qu’il y a une volonté de faire ces travaux mais « qu’elle ne suffit pas pour engager l’ensemble d’une copropriété dans laquelle se trouvent des propriétaires et des bailleurs qui n’ont pas le même intérêt financier. Accélérer la rénovation globale ne pourra se faire que par une contrainte réglementaire, avec beaucoup de communication. »
Le consensus autour de la table se fait assez clairement sur le fait que la rénovation des logements doit désormais intégrer des critères tels que la santé, le maintien à domicile des personnes âgées et le télétravail. Philippe Pelletier, président de Plan bâtiment durable, va même plus loin en ajoutant : « Il est temps de penser que la rénovation des logements doit s’étendre plus largement à celle des quartiers. »
Patrick Rubin, architecte, estime que pour l’habitat collectif à rénover, il serait possible de jouer sur l’épaisseur du manteau thermique d’un bâtiment que l’on isolerait ; il développe l’idée de la « façade augmentée » qui permettrait de faire passer des réseaux, de créer de la surface en plus comme des balcons, des entrées de lumière…
Les industriels des matériaux de construction profitent de l’accélération du marché de la rénovation énergétique engendrée par les aides de l’État. « Pour certains produits d’isolation, explique Pierre-Emmanuel Thiard, directeur général adjoint de Saint-Gobain, nous arrivons à la saturation des capacités de production. Investir sur de nouvelles chaînes de production, très onéreuses, demande de la visibilité à long terme. Nous faisons partie de l’ensemble qui accompagne ce grand mouvement de la rénovation, il ne faut pas l’oublier. »
Sébastien Delpont, directeur d’Énergysprong France, définit la rénovation comme « un défi industriel qui peut générer beaucoup d’emplois dans la filière, des opportunités pour les entrepreneurs capables d’utiliser tous les outils numériques à leur disposition pour trouver de nouvelles solutions à base de matériaux recyclés, de process rapides, etc. »
En rappelant que 80 % des logements de 2050 existent déjà, Valérie Mancret-Taylor, directrice générale de l’ANAH, souligne « qu’il est obligatoire d’agir sur l’existant. Mettre à niveau un parc de logements existant pour le rendre durable par rapport aux enjeux environnementaux, c’est aussi le rendre désirable pour la population de demain. La rénovation doit être abordée avec une vision globale. »
La seconde partie du débat était consacrée à la transformation de l’existant. À partir des données des permis de construire de la période 2013-2021, on voit qu’entre 2013 et 2020, près de 5 300 logements par an sont issus d’immeubles de bureaux transformés. Des éléments présentés par Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de la DGALN, qui indique aussi : « En 2021, l’Institut d’épargne immobilière (IEIF) prévoyait que la montée en puissance du télétravail dans la seule Ile-de-France conduirait dans les 10 prochaines années à un excès de 3,3 millions de m2 de bureaux, soit 6,5 % du parc, un impact réel, mais non maximaliste, de la crise sanitaire. » Le tour de table a permis de débattre des freins qui empêchent la massification de la transformation des bureaux en logement, mais aussi d’évoquer plusieurs pistes à explorer.
Les freins viennent du difficile équilibre entre les coûts techniques engendrés par la transformation, la localisation des biens en centre-ville ou en périphérie, et l’accord des collectivités locales. Sur ce dernier point, Sylvain Robert, maire de Lens, précise « qu’un maire analyse la mutation d’un immeuble de bureaux en logements comme un manque à gagner fiscal et un surcroit d’équipements publics à créer, car plus de logements signifie plus de familles donc des besoins de places en crèche, à l’école, etc. » Mais du côté des opérateurs privés, une transformation n’ouvre pas droit au même régime fiscal que la réhabilitation, ce qui complexifie les équilibres financiers.
Pour Samuel Minot, FFB, il semble évident que la massification de la transformation doit être accompagnée de nouvelles mesures incitatives qui prennent en compte l’ensemble des données urbanistiques, techniques et économiques. « Il faudrait modifier ou créer une réglementation adaptée à la transformation » précise-t-il.
« On assiste à un changement de perception sur le sujet de la transformation des bureaux, explique Joachim AZAN, de Novaxia : aujourd’hui, le marché considère que la norme c’est de démolir. Demain, la norme pourrait être la transformation avec, pourquoi pas, la création d’un permis de transformer comme il existe un permis de construire. »
La notion de coût d’une transformation revient souvent, mais avec des perceptions différentes.
« La rentabilité d’une opération de transformation, rappelle Alexandre Chirier, président de la Foncière de transformation immobilière d’Action Logement, est liée aussi au temps que l’on passe à négocier avec les collectivités locales, les services techniques, la constitution des dossiers, l’obtention des permis… Je plaide pour une simplification des réglementations adaptées à la transformation, et pour un travail d’accompagnement des territoires visant une meilleure acceptabilité des programmes. »
Dans la transformation des bâtiments, le modèle économique est un défi. « Chez Novaxia, expose son président Joachim Azan, nous avons imaginé un modèle qui s’appuie sur l’épargne. Depuis le début de l’année, 5 grands assureurs vie proposent à leurs assurés d’investir dans notre produit et c’est un succès total. Nous avons ainsi les moyens d’entreprendre des programmes de transformation de qualité, confortables pour les occupants et rentables pour les investisseurs. »
Sans être en rupture avec les autres intervenants, le regard des concepteurs sur le sujet est interpelant. Philippe Prost, architecte et urbaniste, est d’accord pour affirmer qu’il faut désormais démolir le moins possible. « Il faut changer les logiciels qui ont été conçus pour la construction neuve : on doit revenir à des fondamentaux qui ont toujours existé. Les bâtiments haussmanniens de Paris, par exemple, ont déjà vécu combien de transformations en passant de logements à bureaux et vice versa ? Posons-nous la question : pourquoi un bâtiment neuf a maintenant une vie plus courte que celui qui va y habiter ?… »
« Un bâtiment construit a déjà le foncier, l’ossature, l’exposition. Pourquoi, quand le bâti le permet, ne pas considérer la transformation en 2 volets distincts : l’extérieur et l’intérieur. L’enveloppe du bâtiment est confiée aux opérateurs du BTP car ils maîtrisent parfaitement le sujet, et l’intérieur à des innovateurs capables d’imaginer tous les systèmes possibles de préfabrication de qualité, pour apporter dans l’immeuble des modules permettant d’aménager des logements performants à tous niveaux. Les étudiants en architecture ne raisonnent plus comme nous le faisions : ils ont des idées qu’il faut que toute la filière de la construction écoute. »
Emmanuelle Wargon conclue cette table ronde en ajoutant que : « La transformation va devenir en soi une filière à part entière, et sans doute une filière d’excellence française. La transformation des bâtiments mérite d’être davantage mise en évidence, et c’est ce à quoi participe le programme Habiter la France de demain ».
Table ronde n°2 : Intérieurs / extérieurs : bien vivre dans son logement
L'équation de la qualité du logement face aux coûts de construction. Pour cette deuxième table ronde « Habiter la France de demain » qui s’est tenue le 8 septembre, Emmanuelle Wargon a proposé aux invités de débattre autour de l’aménagement intérieur des habitations, tout particulièrement dans le collectif. Deux temps forts ont donné lieu à des échanges nourris : l’enquête Qualitel sur l’état des lieux du logement des Français, et la présentation du référentiel porté par la Mission sur la qualité du logement. Au-delà des chiffres, on constate que le ressenti des Français sur leur logement n’est pas satisfaisant. Les réflexions, les recherches et les études montrent néanmoins qu’il est possible d’inverser cette tendance et de ne plus considérer la qualité comme une variable d’ajustement lors de la construction. Le référentiel porte un certain nombre de propositions et de leviers qui vont dans ce sens.
Compte-rendu de la table ronde
En présentant les résultats de l’enquête Qualitel sur l’état des lieux du logement, Bertrand Delcambre, son président, souligne qu’elle a été faite sur plus de 1000 logements représentatifs du parc français. Les observations les plus marquantes pointent la baisse de hauteur sous plafond (-27 cm depuis 1945), l’insuffisance des espaces de rangements, la quasi disparition des caves et des greniers, et des cuisines trop petites. Ce ressenti des habitants sur l’espace occupé vient s’ajouter à une prise en compte affirmée de critères tels que l’année de construction de l’immeuble, le confort thermique, la qualité acoustique, la qualité des matériaux, l’aération…
Des résultats convergents avec ceux de l’étude IDHEAL, qui font dire à sa déléguée générale Catherine Sabbah que la qualité des logements peut être objectivée : « Il existe des choses mesurables qui peuvent être prises en compte dans le prix du logement, au même titre que la localisation, le coût du foncier, etc. Nos logements sont des lieux à ménager. »
Mais du côté des promoteurs immobiliers, Pascal Boulanger, président de la FPI, estime que : « Le défi actuel est de continuer à loger les Français, dans un contexte où Les PLU sont de plus en plus restrictifs et les opérations de construction sont de moins en moins rentables pour les promoteurs. Sans oublier le risque de l’insolvabilité de la clientèle. En outre, nos études montrent que nos clients sont majoritairement satisfaits. Donc, pour nous, sur ce sujet, le mieux est l’ennemi du bien. »
La crise sanitaire a démontré que le logement devait pouvoir être évolutif au fil du temps : recomposition familiale, télétravail, nouvelles habitudes de vie… « Rien n’est encore intégré dans les conceptions de nouveaux logements, pense Jean-Yves Mano, président de CLCV (Consommation, Logement et Cadre de Vie), ou alors au détriment de la qualité ».
Le maire de Nanterre, Patrick Jarry, estime que : « depuis 15 ans, la qualité des logements est liée au prix du foncier. Sur ma commune, nous avons essayé de réguler ce phénomène par l’instauration d’une charte qui contient des objectifs de qualité : dimension des pièces, orientation du logement, etc. Ceci crée un phénomène d’entrainement sur le foncier privé. En fait, il faudrait que tous les maires s’occupent de la qualité du logement et du prix de sortie du logement. » Ce que soutient aussi Véronique Bédague, directrice générale de Nexity en disant que « La politique du logement est un tout : il faut regarder la constructibilité et le prix du foncier. » Christine Leconte, présidente du Conseil national de l’ordre des architectes précise : « les architectes répondent à une commande, et qu’avec un bon maître d’ouvrage, il faudrait aussi pouvoir concerter les élus et les habitants ».
Cette première partie du débat s’achève sur les propos de Yankel Fijalkow, sociologue et directeur du Centre de recherche sur l’habitat : « Désormais, on constate que les critères sur le bien-être sont à prendre en compte. Les logements ne sont plus occupés de la même façon, et la maîtrise de l’environnement devient un enjeu important. Sans doute un facteur d’attractivité de la vie dans des communes périphériques, au lendemain de la crise sanitaire. »
Si le débat pointe, notamment, la diminution des surfaces des logements, certains acquéreurs acceptent de vivre dans un tout petit logement, mais aux caractéristiques bien précises. Céline Goujon, gérante de Nomade, constructeur de « tiny houses », explique que ses clients recherchent d’abord la liberté et la qualité de ses mini-maisons mobiles en bois. « On a des typologies de clients très différentes, explique-t-elle, qui vont des jeunes couples aux retraités, en passant par des familles avec enfant. Leur volonté est de vivre dans un cadre qu’ils choisissent, avec moins d’objets, moins de charges, moins d’impact sur l’environnement. C’est aussi une façon pour beaucoup d’accéder au statut de propriétaires à faible coût. »
Second temps fort de la réunion, la présentation du référentiel de qualité sur le logement par Laurent Girometti, directeur Général de l’Epamarne, et François Leclercq, architecte. Le référentiel distingue un critère essentiel, celui d’une surface minimale par typologie de logement, gage d’un meilleur confort et de plus de mutabilité, et d’autres critères qui constituent des recommandations : des surfaces minimales par chambre et pour l’ensemble « salon + cuisine », une hauteur sous plafond plus importante, un critère d’accès à un espace extérieur, un critère d’orientation, une recommandation sur la surface de rangement.
Dans sa synthèse, Laurent Girometti indique : « Le levier national le plus solide pour influer sur les caractéristiques des logements collectifs neufs est, selon nous, le dispositif d’investissement locatif Pinel. Celui-ci se prête à une conditionnalité de l’aide : nous proposons donc de l’utiliser pour inciter à produire des logements de meilleure qualité. »
- Une politique foncière active (EPF, préemption, ZAC…), qui vise à contenir le terme « coût du foncier » ;
- La structuration de filières de construction plus compétitives, qui vise à contenir le terme « coût de construction » ;
- La promotion de modèles alternatifs de propriété, d’acquisition et de détention des logements permettant de lisser sur plus longue période ou de « dissocier » le financement du logement (cession de droits réels…).
À l’écoute de la présentation du référentiel, Pascal Boulanger (FPI) reste sceptique sur l’idée de l’intégrer au dispositif Pinel : « Quand on lance une opération, on ne sait pas à qui on va vendre. La FPI ne voit pas comment on peut savoir à l’avance si on construit du logement Pinel ou non Pinel. Et pour les chartes, la FPI y est favorable quand elles augmentent la constructibilité. Pour le reste, nous estimons qu’il y a déjà assez de normes réglementaires. »
Un sentiment partagé par Véronique Bédague (Nexity) : « Nous ne savons pas aujourd’hui quel sera l’effet coût de ce référentiel. Nexity met déjà tout en œuvre pour faire de la ville bas carbone plus vite que la réglementation. Mais en rajoutant des critères de coût, on coupe l’accès des Français à l’achat. »
Laurent Girometti précise que le référentiel est une aide, avec des leviers sur les montages financiers qui représentent un moyen et non une fin. « Les coûts techniques se regardent parcelle par parcelle. Il n’y a pas de modélisation générale possible sur ce point-là. Une des recommandations du rapport est d’assortir d’objectifs de qualité, chaque fois que c’est possible, les politiques publiques intervenant sur les montages financiers. En observant au mieux les résultats, on pourra identifier comment se répartissent les gains obtenus. »
Billy Guidoni, président de Modus Ædificandi, a témoigné de l’approche originale de sa société de promotion qui permet de faire du sur-mesure dans un immeuble collectif. « Modus Ædificandi, a-t-il expliqué, a inventé une méthode et des outils permettant de répondre aux besoins d’une mixité de personnes et de fonctions, et fabriquer des projets dans lesquels habiter, travailler, vivre, interagir et échanger. Nous pouvons dès lors imaginer un immobilier urbain capable de s’adapter aux demandes les plus variées, mais aussi d’anticiper les besoins futurs de la ville. » Cette approche permet d’augmenter la qualité du logement elle-même sans surcoût, puisque tout le programme est mutualisé, discuté et voté pour les espaces partagés par les futurs occupants. Tout est décidé avant de commencer la construction.
Emmanuelle Wargon clôture cette table ronde en soulignant que : « Ce référentiel permet de traiter pour la première fois la qualité d’usage du logement, sa conception, sa distribution, son orientation, ses espaces extérieurs… Sans établir une nouvelle norme, il constitue une base équilibrée dont les élus et les opérateurs pourraient se saisir. Pour que les citoyens acceptent la densification, des constructions près de chez eux, et pour rendre les villes attractives, il faut des logements désirables. »
Table ronde n°1 : Impact de la crise sanitaire sur le lieu de vie : exode ou statut quo ?
La 1ère des 6 tables rondes « Habiter la France de demain » s’est tenue mardi 31 août au ministère du Logement. Présidée par Emmanuelle Wargon, cette rencontre a permis de confronter des points de vue sur la situation réelle des mouvements de population des villes, par rapport à une hypothèse d’exode. La vingtaine d’intervenants a pu débattre et témoigner autour de deux études : l’une factuelle du Conseil supérieur du notariat sur le marché immobilier, ses prix et la réalité des transferts entre les régions, et l’autre de Procivis / Harris Interactive sur les trajectoires d’habitation des Français qui souligne plusieurs paradoxes.
Compte-rendu de la table ronde
Le premier constat porté par Maître Frédéric Violeau, notaire à Caen et président de l’Institut Notarial de Droit Immobilier, est que l’on observe un mouvement accéléré sur les ventes de biens au cours de la crise sanitaire, mais « dans le marché » et sans généralisation à l’ensemble du territoire. On voit bien une augmentation des transactions et des prix sur certaines périphéries et +13 % de départs d’un département à un autre, mais essentiellement pour les grandes villes. Cette évolution notable ne signale pas d’exode mais une accélération d’une tendance déjà engagée depuis plusieurs années.
Ce qui fausse la perception générale sur ce sujet, c’est la tension immobilière qui existe dans les zones littorales très demandées (Pays Basque et Bretagne, notamment) où les prix ont subi une forte augmentation avec une offre limitée. L’étude du Conseil supérieur du notariat le montre clairement : cette demande sur les bords de mer très recherchés concerne plutôt des résidences secondaires. On peut y voir un impact de la crise sanitaire sur des populations (disposant d’un pouvoir d’achat) ayant mal vécu l’enfermement en ville lors des confinements.
L’impact sur les prix est donc très localisé. L’enjeu de l’accueil de nouveaux habitants est donc celui de la cohésion, du « vivre-ensemble » entre nouveaux arrivants et ménages ancrés dans le territoire. La tendance générale est confirmée par Caroline de Gantès, Country Managing Director du groupe SeLoger.com, qui précise que « la plateforme SeLoger enregistre beaucoup plus de requêtes pour les recherches de maison, notamment avec jardin. » Pour autant, les professionnels de l’immobilier s’accordent à dire que chez les acquéreurs potentiels, il y a une différence « entre ce que je veux acheter, et ce que je peux acheter… »
L’enquête Procivis / Immo de France / Harris Interactive menée en octobre 2020 sur les trajectoires d’habitation des Français, montre que l’on est au bout de l’hypermétropolisation : des prix trop hauts, des déplacements en voiture de plus en plus compliqués, une offre sous le plafond de ressources, autant d’éléments qui éloignent une partie de la population des centres villes.
Yannick Borde, président de Procivis, explique que : « l’avènement du télétravail pourrait accélérer la transition de certains profils. Les personnes qui déclarent télétravailler aujourd’hui sont 64 % à vivre dans une grande agglomération, mais seulement 47 % à considérer qu’il s’agit du cadre de vie idéal. Une bascule vers un autre cadre de vie est donc envisageable. Le télétravail pourrait aussi constituer une solution aux temps de transports excessifs entre domicile et travail, qui dépassent 30 minutes par trajet pour une majorité des habitants de l’agglomération parisienne (59 %). Pour autant, la question des revenus reste hyper-déterminante des trajectoires résidentielles. 61 % des Français qui ont abandonné leur projet de devenir propriétaires l’ont fait pour des raisons financières. On peut craindre que la crise économique conséquente à la crise sanitaire aggrave encore cette inégalité. »
Le paradoxe français sur le logement idéal
L’enquête Procivis révèle plusieurs paradoxes, comme l’explique Jean-Daniel Lévy, PDG d’Harris Interactive : « Malgré la focalisation médiatique sur le désir de changer de cadre de vie, nos compatriotes sont finalement peu mobiles et restent majoritairement proches de leurs lieux de vie d’origine (75 % résident aujourd’hui dans un environnement comparable à celui de leur enfance).
L’aspiration à la propriété reste une valeur largement répandue dans toutes les catégories de population(63 % des non-propriétaires voudraient le devenir), maisseuls 56 % des Français le sont effectivement, avec des inégalités sociales marquées.
Et si les ¾ des sondé affichent une sensibilité à l’écologie, ils aspirent quand même à une maison individuelle, qui n’est pourtant pas le modèle le plus vertueux de l’habitat durable ». Enfin, outre ces paradoxes, on observe que ceux qui habitent dans le parc social ont du mal à en sortir(40 % des Français qui ont passé leur enfance en HLM vivent encore en HLM).
Quitter une grande agglomération pour aller vivre dans une ville plus petite avec une meilleure qualité de vie serait donc une tendance sociétale plus que conjoncturelle. Encore faut-il que les villes de destination puissent répondre aux attentes de ces populations en termes d’équipement et de services.
Henry Buzy-Cazaux, président de l’Institut du Management des Services Immobiliers, estime que : « l’attractivité des grandes villes demeurera car les maires font tout pour la maintenir. En revanche, ces métropoles savent accompagner les villes alentours — cas de Lyon et Saint-Etienne notamment — ce qui permet d’équilibrer l’offre et la demande de logements avec une diversité de prix au m2. »
Les villes, grandes et moyennes, souffrent quasiment toutes d’un manque d’offres de biens dans le neuf, sur le marché privé comme dans le logement social. L’une des explications avancées par Yann Dubosc, maire de Bussy St Georges et représentant de l’Association des Maires d’Ile-de-France, est que « la crise sanitaire et les élections qui approchent sont un frein aux décisions des élus. On peut vite passer de maire bâtisseur à maire bétonneur, et voir fleurir autant de pétitions que de grues dans le paysage… »
En contrepoint, plusieurs des participants de la table ronde s’accordent sur le fait que la solution au logement des jeunes actifs, des familles mobiles, des néo-ruraux ne passent pas nécessairement par la construction de bâtiments neufs. Il existe un gisement de biens privés et publics à rénover, y compris au centre des villes moyennes et petites. François Descœur,président de l’Association des Maires Ruraux du Cantal, estime que « l’accueil de nouveaux arrivants pourrait revitaliser les campagnes tout en luttant contre l’artificialisation, car il y a beaucoup de logements vacants à rénover. »
Denis Thuriot, maire de Nevers, témoigne « d’une évolution progressive dans la commune, avec des résidences secondaires qui pourraient devenir des résidences principales, permettant une attractivité de télétravailleurs désireux d’une meilleure qualité de vie, à condition d’avoir une offre numérique fibre ou 5G conséquente… »
Emmanuelle Wargon le souligne en fin de réunion : « Les aspirations au changement de lieux de vie d’une partie de la population sont légitimes. Pour autant, le passage à l’acte, le fait de quitter sa ville, reste limité. Il faut continuer à expliquer, notamment aux jeunes primo-accédants, que la qualité de vie doit sortir de l’opposition entre le pavillon avec jardin dans un lotissement, et l’immeuble collectif dont l’image est dégradée. Des solutions existent et la centaine de démonstrateurs que nous avons recensés est là pour le prouver. »