Discours de Barbara Pompili lors de l'examen en séance du projet de loi Climat et Résilience

Le Lundi 29 mars 2021

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président,
Madame la Présidente de la commission spéciale,
Monsieur le rapporteur général,
Mesdames, messieurs les rapporteurs,    
Mesdames et messieurs les députés,

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Face à l’urgence climatique, l’objectif est aussi simple que le chemin est complexe.

Nous savons tous où aller : vers la fin de cette civilisation des énergies fossiles. La fin de cette civilisation qui rejette des milliards de tonnes de gaz à effet de serre dans l’atmosphère chaque année. La fin d’une civilisation qui dérègle le climat, fait de nos étés des canicules, des crues de nos rivières des cataclysmes mortels et de nos forêts des brasiers. Il suffisait de se rendre cet automne dans la vallée de la Roya, dévastée par une inondation comme au lendemain d’un bombardement, pour réaliser que nous avons déjà trop attendu.

Ce que nous savons moins, ici comme partout dans le monde, c’est comment y aller. Parce qu’il s’agit précisément de changer de civilisation, de toucher au cœur de notre économie, de notre société, mais aussi de nos modes de vies. Il n’y a pas de mode d’emploi pour une telle transformation. Il n’y a pas de manuel pour transformer un constat scientifique aussi massif soit-il, en ligne de conduite mondiale, en plan d’actions qui finit par imprégner la réalité sociale dans nos entreprises, nos communes, nos foyers.

Pourtant parce qu’il s’agit tout simplement de nous garantir un avenir, à nous, à nos enfants, nous nous y attelons. Avec humilité.

Avec espoir et avec cœur aussi. Car la société à laquelle nous aspirons est tout sauf un monde de privation, tout sauf un retour en arrière, c’est un monde de liberté. Un monde libéré de notre dépendance aux énergies fossiles, libéré d’un air irrespirable, libéré de la surconsommation, libéré de la malbouffe, libéré d’une logique économique qui considère les externalités environnementales comme négligeables. Un monde qui ne mesure sa réussite qu’à l’aune d’un indicateur, le PIB, qui ne prend pas en compte les limites physiques de notre planète.

L’objectif est clair. Mais le seul plan qui existe pour l’atteindre est théorique. Aucun gouvernement ne l’a déjà mis en œuvre. Il n’existe pas de mode d’emploi.

Alors, nous cherchons donc à tracer notre propre chemin, à dépasser les obstacles, à avancer même lorsqu’on nous dit que c’est impossible ou que ce n’est pas le moment.

Un chemin qui nous permette d’arriver à bon port et d’y arriver ensemble.

A mes yeux la transition écologique ne peut qu’être ambitieuse et rassembleuse. La transition en laquelle je crois refuse toute brutalité dans la méthode et vise à faire Nation autour d’un projet protecteur et émancipateur.

C’est cet esprit rassembleur qui animait le Président de la République quand il a décidé d’installer la Convention citoyenne pour le climat.

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Pendant dix-sept mois, 150 citoyens tirés au sort : employés, agriculteurs, retraités, lycéens, infirmiers et médecins, professeurs, chefs d’entreprises, et même publicitaire et pilote de ligne, ont été mis devant les faits scientifiques.

150 citoyens sont venus prêter directement leur concours à la vie de la Cité dans ce qu’elle a de plus noble, de plus sincère : assimiler un problème complexe, débattre, proposer.

Nous pouvons être collectivement fiers de ces 150 citoyens. Leur héritage démocratique et écologique est considérable.

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Car oui, Mesdames et messieurs les députés, cet exercice démocratique inédit prend tout son sens aujourd’hui, ici, avec vous.

Après le temps des citoyens, voici le temps des élus de la nation.

Et ce temps du Parlement, j’y suis extrêmement attachée.
Parce que c’est celui de la démocratie représentative, des débats au grand jour et des votes qui gravent des espoirs dans le marbre de la loi.

C’est ainsi, ensemble, que nous allons répondre à l’appel de la Convention citoyenne. C’est ensemble que nous allons passer de 150 Françaises et Français, à 577 aujourd’hui et à 67 millions demain.
Le texte que je vous présente aujourd’hui, est une nouvelle pierre importante à l’édifice de la République écologique que nous voulons construire.

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Cette République écologique, ce n’est pas un vain mot. L’écologie vient de l’Oikos grec qui désigne la maison, le patrimoine. Et c’est bien de cela qu’il s’agit : apprendre à gérer ensemble notre patrimoine commun. Une maison dont nous sommes de simples sujets, profondément dépendants des services que nous rend la nature.

Comme le rappelle l’encyclique Laudato Si du Pape François : « Quand on parle d’environnement, on désigne en particulier une relation, celle qui existe entre la nature et la société qui l’habite. Cela nous empêche de concevoir la nature comme séparée de nous ou comme un simple cadre de notre vie. Nous sommes inclus en elle, nous en sommes une partie, et nous sommes enchevêtrés avec elle ».

Et ce patrimoine extraordinaire, nous l’avons déjà largement dilapidé, en quelques décennies, quand notre planète a mis des millions d’années à le construire.

A l’heure où je vous parle, les trois quarts de notre planète ont été significativement modifiés par l’action humaine.
La dégradation des sols a réduit d’un quart la productivité de la surface terrestre mondiale.

Les zones urbaines ont plus que doublé en 30 ans.

La pollution plastique a été multipliée par 10 en 40 ans causant des dommages irrémédiables sur l’océan, nos cours d’eau et les écosystèmes qu’ils abritent.

Je ne peux me résigner à cet héritage.

Nous ne pouvons pas nous résigner à ce que notre génération soit encore celle de l’inaction, des renoncements dictés par  le court-termisme. Face à l’Histoire, nous n’aurons aucune excuse car nous savions.

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Mesdames et Messieurs, notre devoir est de prendre nos responsabilités, de nous inscrire dans une  nouvelle temporalité, celle de l’urgence.

C’est l’ambition du texte que j’ai l’honneur de vous présenter.

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Beaucoup débattront du rythme que nous choisissons, soit pour dire qu’il est trop rapide ou qu’il est trop lent.

C’est bien tout l’enjeu du texte que je vous présente aujourd’hui : dessiner la France de 2030, sans laisser personne au bord du chemin.

Définir une écologie pratique, un juste équilibre entre la contrainte qui permet de donner l’impulsion et l’accompagnement qui permet à chacun de s’inscrire dans le changement.

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Car ce texte est une loi de bon sens. Tout simplement.

Parce que tout commence par l’école, cette loi fera entrer l’écologie dans ce pilier de la République pour former et sensibiliser les futurs citoyens aux enjeux de la planète.

Parce qu’il faut rompre avec les conséquences néfastes du consumérisme, cette loi transformera la publicité et permettra à chaque citoyen de faire des choix de  consommation plus vertueux  grâce à un étiquetage environnemental sur tous les produits et services qui leur sont vendus.

Parce qu’aujourd’hui encore 48 000 personnes meurent chaque année  à cause de la pollution de l’air, en particulier du fait de la congestion automobile, cette loi crée des zones à faibles émissions dans toutes les grandes villes de France pour mettre fin à la circulation des véhicules les plus polluants.

Parce qu’il est absurde de prendre l’avion lorsque le même trajet peut être fait en 2h30 en train, cette loi limite le nombre de vols domestiques.

Parce qu’on ne peut plus laisser 20 000 hectares de nature   disparaitre sous le béton tous les ans, cette loi met fin à la construction de centres commerciaux au milieu de nos champs et divise par deux la vitesse d’artificialisation des sols.

Parce que on ne peut plus laisser près de 2 millions de foyers vivre dans des passoires thermiques, tomber malades l’hiver, suffoquer l’été et payer des factures exorbitantes, nous en  interdisons la mise en location pour obliger les propriétaires à réaliser des rénovations de qualité. Et sur ce sujet crucial de la rénovation des bâtiments qui pèse pour un quart de nos émissions globales, je souhaite qu’ensemble nous allions plus loin.

Parce que la destruction volontaire de la nature ne peut plus être tolérée, cette loi, nous donnera les moyens de punir sévèrement ceux qui portent atteinte à l’environnement.

Cette loi, c’est une véritable bascule culturelle globale, qui fera de l’écologie une réalité du quotidien.

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Et c’est un combat qui dépasse ce seul texte, aussi fort soit-il.

Parce qu’aucune loi ne peut à elle seule mener la transformation systémique de notre pays.

Depuis le premier jour, nous agissons.

Pour prendre des décisions que personne n’avait osé prendre, en mettant fin à de grands projets datés comme Notre Dame des Landes, Europa City, la Montagne d’Or ou le terminal 4 de Roissy.

Pour mobiliser les moyens sans lesquels les objectifs ne sont que du papier, avec un plan de relance vert historiques investissant 30 milliards d’euros pour décarboner notre économie.

Pour porter haut nos ambitions à l’international et en Europe. Pour aller décrocher les accords historiques qui font date.

Pour renforcer le marché carbone européen et aligner nos partenaires commerciaux sur le même niveau d’exigence environnemental.

Et nous sommes regardés à l’international. L’expérience de la convention citoyenne pour le climat inspire. Le Royaume-Uni a lancé une initiative similaire. L’Allemagne et l’Espagne s’apprêtent à le faire. C’est une marque de notre leadership dans ce combat.

Oui, cette loi est une nouvelle pierre à cet édifice que nous construisons pour assurer l’avenir du pays en responsabilité. En s’attelant à ce qu’il y a de plus ordinaire, de plus basique mais aussi de plus crucial : nos modes de vie.

C’est cela l’écologie à laquelle je crois et pour laquelle je me bats.

Une écologie pratique, qui apporte des solutions simples dans le quotidien des Français.

Une écologie, qui remet du bon sens dans nos vies, qui lutte contre tout ce que nous voyons d’aberrant, d’idiot, dans un système qui ne peut plus continuer comme avant.

Alors ce texte, maintenant, il est là devant vous. Et je crois qu’il est une chance, celle d’avoir un héritage dont nous pourrons toutes et tous être fiers.

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Mesdames et messieurs les députés,

Je relisais hier, avant de venir devant vous, quelques mots d’un grand français, d’un grand écrivain, d’un grand député qui a fait honneur à son pays et à cet hémicycle.
Aimé Césaire.

Et de sa société, coloniale, il a dit ceci :
« Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. »

Je crois que ses mots résonnent toujours, encore, avec force et avec talent.

Ils nous appellent à l’exigence envers nous-même, envers notre société, à la responsabilité d’agir pour la transformer.

Pour nous, pour nos enfants, pour notre planète.

C’est ma détermination, et je sais pouvoir compter sur la vôtre.

Je vous remercie.

 

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