Discours de Barbara Pompili devant le Sénat pour l'examen du projet de loi Climat & Résilience

Le Lundi 14 juin 2021

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le président Larcher,
Monsieur le président Longeot,
Madame la présidente Primas,
Mesdames et messieurs les rapporteurs,
Mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs,
Bonjour à toutes et à tous,

***
Quelle transition écologique voulons-nous pour notre pays ? 

Je crois que c’est aujourd’hui la question centrale.  
Celle de la méthode, de la vitesse, des moyens. Celle du concret. 

Car il n’y a au fond plus d’oppositions frontales au sein de la société quant au diagnostic.

Nous savons tous que chaque jour, chaque heure, chaque minute qui passe, rend l’urgence climatique plus forte. 

Nous savons tous que le dérèglement abîme partout la nature et les humains, que ce soit en Amazonie qui émet désormais plus de carbone qu’elle n’en séquestre, où que ce soit ici dans nos communes, nos maisons, nos champs, nos forêts où nous subissons avec une intensité croissante inondations, sècheresses, gels, canicules et incendies. 
Face à cela, il n’y a qu’une seule issue, chez nous et partout dans le monde : la neutralité carbone, la sortie de la civilisation des énergies fossiles, le plus vite possible et dans des conditions soutenables pour tous. 

Le fait qu’il existe un consensus puissant à ce sujet est en soi une grande victoire. Car c’est le préalable à l’action. 
Mais nous savons aussi que cette phase, celle de l’action, n’a rien d’aisé. 
Parce qu’il s’agit justement d’une grande bascule, de sortir d’un modèle qui structure nos vies depuis des décennies. 

Il s’agit d’interroger nos habitudes et nos modes de vie, de passer des paroles et des constats aux actes.

Ce que propose ce texte, c’est donc un chemin pour réussir ce défi. 

Et ce chemin c’est celui d’une écologie qui frappe à la porte des Français, qui s’immisce dans nos quotidiens pour intégrer pleinement le modèle français. 
C’est à dire, notre économie, notre manière de travailler, notre habitat, notre alimentation, nos déplacements, notre éducation… tout en fait !

*

Mesdames et messieurs les sénatrices et les sénateurs, l’écologie est une chance et non une contrainte. 
Et dans quelques années, nous réaliserons combien ce texte a fait bouger les lignes et permis d’accélérer. 
Car nous respirerons un air plus pur dans nos grandes villes.
Nous vivrons dans des logements mieux isolés.
Nous ne verrons plus la nature être systématiquement dévorée par le béton.
Nous aurons une alimentation plus diversifiée et des modes de consommation plus vertueux. 

Bien sûr, pour y arriver, pour faire advenir cette France du XXIème siècle dont je veux vous parler, nous devons dépasser les obstacles, bousculer certaines idées reçues, et avancer, ensemble.

Et je dis « ensemble », car je crois que c’est profondément ce dont notre pays a besoin.
Car devant le changement climatique et la dégradation de la biodiversité, il ne peut plus y avoir de partis ou de polémiques. 
Lorsque « la maison brûle », on « ne regarde pas ailleurs », on affronte le défi.
Et relever ensemble cet immense défi de notre génération… nous ici dans cet hémicycle… et au-dehors, partout, dans chaque ville et chaque village, c’est l’occasion de retrouver ce que nous avions peut-être oublié un temps… L’avenir partagé. Un héritage aux enfants de cette République, d’où qu’ils viennent, quoi qu’ils fassent.
Oui, Mesdames et Messieurs les sénatrices et les sénateurs, je crois que l’écologie est une réponse à une grande part des maux contemporains de notre pays.

Et si vous en doutez : j’ai 150 preuves de cela.
*

Ils s’appellent Muriel, Nicolas, Vita, Malik, Pierre ou Mélanie. 
Ils viennent de métropole, des Outre-mer, des grandes villes, des petits villages, de partout, de tous les coins de France.
Ils sont agriculteur, cadre, retraité, lycéen, et bien d’autres situations sociales.

Et pendant 9 mois, ils sont venus prêter directement leur concours à la République. 

Ils ont fait vivre ce beau mot de citoyenne et de citoyen dans ce qu’il a de plus sincère, de plus juste, de plus noble : étudier un problème, débattre, proposer. 
Avec toujours au cœur le sens de l’intérêt général. L’envie d’être utile au pays. Le goût de changer les choses, pour le mieux.

Et je crois que c’est une grande bouffée d’air démocratique dont notre pays avait, là aussi, bien besoin.

Parce que si les 150 nous laissent un héritage écologique majeur qui va bien au-delà de ce seul projet de loi… je veux aussi redire ici ma fierté devant leur héritage démocratique.

Car, avant, la petite musique montait que notre démocratie était fatiguée, souffrant d’un manque de légitimité. 
Que les citoyens avaient déserté la politique. Qu’ils n’avaient plus d’intérêt que pour eux, et plus pour la chose commune, la res publica.

Cette Convention citoyenne, cet exercice inédit, apporte une première réponse. 
Elle montre que les femmes et les hommes dans ce pays veulent s’engager. 
Qu’ils veulent participer et concourir aux grandes décisions qui structurent l’avenir du pays. 
Qu’ils ont soif de connaissances, de débats. 
Et c’est une force immense.

Parce que je crois que face à un problème aussi complexe que la transition, nous avons besoin de tout le monde à bord. 
L’intelligence collective, ce n’est pas qu’un mot ou un concept marketing. C’est le sens même d’une Assemblée.

Et si rien, jamais, ne remplacera le Parlement démocratiquement élu dans son rôle souverain de Législateur, je crois qu’il ne faut pas avoir peur des citoyens. 
De leur force d’innovation, de leur inventivité, de leur hauteur de vue. 

Oui, la démocratie représentative est le moteur de notre pays. Ancienne parlementaire, j’y suis viscéralement attachée. Chacune et chacun d’entre vous le sait. 
Mais elle peut s’enrichir de cette démocratie participative. 
Et je m’étonne de voir que certains semblent se sentir menacés dans leur légitimité par des citoyens qui réfléchissent et proposent.
Car oui, cette expérience inédite le démontre : la démocratie participative renforce et affermit nos institutions. Elle apporte un nouveau regard dont on sort collectivement grandis.
Et d’ailleurs, j’en profite pour saluer les membres, nombreux, de la Convention citoyenne pour le climat qui ont décidé de prolonger leur engagement en se présentant aux prochaines élections, la boucle est bouclée. 
*

Alors, maintenant, c’est à vous qu’il revient naturellement de poursuivre cette dynamique enclenchée.

Et je sais tout ce que ce temps du Parlement a d’important. 
Pour améliorer et préciser la loi. 
Pour faire naître des consensus. 
Pour passer de 150 citoyens à 67 millions de Françaises et de Français.

Car notre génération ne peut plus être celle du renoncement, de l’inaction, de la petitesse de vue. Nous savons, et nous n’avons aucune excuse. 

Alors oui, ce texte que j’ai l’honneur de vous présenter, enrichi par le travail à l’Assemblée : c’est une nouvelle pierre de cette République écologique pour notre pays.
Une République qui n’hypothèque plus l’avenir de ses enfants.
Une République qui ne souille plus le monde mais le préserve.
Une République forte, qui protège, qui accompagne.

Et c’est toute l’ambition de ce projet de loi.

*

Je parlais d’intégrer l’écologie dans le modèle français. Pour l’ensemble des enfants de notre pays, la vie de citoyen commence à l’école de la République.
C’est pourquoi, avec ce projet de loi, nous faisons entrer largement l’écologie dans les salles de classe, pour former les écocitoyens de demain.
Mais au-delà, pour chacune et chacun, tout au long de sa vie, nous donnons enfin les moyens d’être acteur d’une consommation responsable et vertueuse. 
Connaitre le coût environnemental des produits, transformer la publicité, c’est amorcer un sérieux virage vis-à-vis du modèle de surconsommation qui règne en maître depuis beaucoup trop longtemps.
Voilà, Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs, tout l’enjeu du titre I.

Porter la transition écologique au cœur de notre modèle économique. 
Mobiliser les milliards d’euros de la commande publique avec des clauses environnementales obligatoires.
Adapter notre code minier aux enjeux écologiques.
Mobiliser les instances de représentation des salariés. Oui, même si l’ambition des articles qui portent sur cette question a été réduite lors de l’examen en commission, je continue de croire que l’entreprise peut être le lieu d’une démocratie sociale et écologique.
Voilà l’esprit du titre II.

Et, je vous parlais à l’instant d’une république écologique qui protège… qui peut, oui, je le dis, sauver des vies. 
Vous le savez, chaque année dans notre pays, 40 000 personnes meurent du fait de la pollution de l’air, principalement liée à la circulation automobile. C’est une des principales causes de mortalité évitable en France avec l’alcool et le tabac. 
Ce sont des maladies au long cours qui pèsent sur la vie de tous les jours.
Et face à cette urgence, sanitaire, sociale, écologique, nous agissons en responsabilité. 
Oui, demain, dans toutes les grandes villes de France, il y aura des zones à faibles émissions pour y limiter la circulation des véhicules les plus polluants. 
A ce titre, je regrette que la portée de l’article 27 ait été réduite lors de l’examen en commission.
Car oui, ces ZFE généralisées, ce sera autant de maladies respiratoires épargnées à nos enfants. Autant de vies sauvées. 
C’est l’ambition du titre III.

Mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs, l’écologie c‘est souvent du bon sens. Et c’est l’esprit de ce texte. 

Et mettre un terme à cette hérésie qui consiste à prendre l’avion alors que le train est là en moins de 2h30 : c’est du bon sens !
Arrêter de couler la nature sous le béton : c’est du bon sens !
Arrêter de construire des centres commerciaux au milieu des champs : c’est du bon sens !

Et cette lutte contre l’artificialisation, qui nous amène à diviser par deux son rythme, c’est tout simplement la naissance d’une écologie des territoires dont nous avons tout à gagner.
Car depuis beaucoup trop longtemps, notre pays a vécu sur cette idée fausse qu’on pouvait agrandir la ville, avaler les espaces naturels et agricoles sans cesse… et que tout irait bien !
Cette machine infernale n’a fait que contribuer au déclin de la biodiversité, à l’augmentation de la dépendance à la voiture et au sentiment d’oubli ou d’exclusion d’une partie de la population.
Alors, oui enfin, nous y mettons un terme. Et il était plus que temps !

Il était aussi largement temps de s’occuper de la vie quotidienne des millions de foyers français qui vivent dans des passoires thermiques. 

Etouffant l’été, glacial l’hiver, toujours dispendieux et émettant massivement du CO2 pour se chauffer… je vais le dire simplement : cette situation n’a que trop duré.
Alors, là aussi, avec cette loi, avec ce titre IV, nous interdisons la mise en location de ces passoires pour conduire les propriétaires à réaliser des rénovations de qualité. 

Et grâce aux travaux de l’Assemblée nationale, nous avons dorénavant une trajectoire claire et précise pour y arriver.
En commençant par les classes G dès 2025, les plus consommatrices, jusqu’aux classes E. Je regrette à ce titre, je pense qu’on pourra en rediscuter, que le Sénat ait souhaité reculer cette échéance qui concerne la classe E de 2034 à 2040. 
Car nous ne laissons pas les propriétaires seuls. 
Je suis fière que ce texte se soit enrichi à l’Assemblée des accompagnateurs rénovations pour soutenir les ménages de la conception des projets à la réalisation. C’est un grand pas en avant pour aller convaincre ceux qui hésitaient encore.

Et je sais combien s’engager dans des travaux importants peut inquiéter. 
Soyons francs : nous demandons un effort à des millions de propriétaires. Et je crois que le minimum que nous leur devons, c’est de la prévisibilité, de la cohérence. C’est d’entretenir un climat de confiance, le seul à même de nous faire progresser. 
C’est pourquoi, la loi fixe dorénavant un principe d’engagement financier de l’Etat qui grave dans le marbre la garantie d’un reste à charge faible.
Tout cela, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, c’est l’objet du titre IV

Avec ce texte, nous ouvrons également une nouvelle étape dans la manière dont notre pays se nourrit.
Nous amplifions la transition agroécologique, pour les territoires, les humains et notre santé.
Nous luttons plus fort que jamais contre la déforestation importée.
Nous laissons le choix, à chacune et chacun, d’un menu végétarien dans les cantines scolaires.

Et j’ai bien noté que vous aviez supprimé en commission la généralisation du menu hebdomadaire végétarien alors que l’évaluation de cette mesure est positive.
J’ai cette conviction, et je tiens à la partager avec vous : notre société évolue sur ces questions, vite et fort. 
Et notre rôle, notre responsabilité, c’est aussi d’accompagner l’évolution de la société sur ce sujet, tout en soutenant l’excellence agroalimentaire de notre pays.
C’est d’offrir un choix juste, permettant à ceux qui mangent de la viande d’en consommer de meilleure qualité, permettant de soutenir les producteurs locaux, permettant de consommer avec responsabilité. Voilà ce qu’est l’esprit du titre V !

Mesdames et messieurs les sénatrices et les sénateurs, dans cette transformation majeure de notre pays, je crois que la justice, loin d’être un problème, fait partie de la solution.
Alors, avec cette loi, nous renforçons notre droit, notre justice, celle du peuple français qui ne tolère plus les dépôts sauvages, les pollutions volontaires, les destructions de la nature préméditées. 
Chaque génération a ses lignes directrices. Voici les nôtres : diligence et sévérité contre ceux qui portent atteinte à l’environnement. 
En commission, vous avez souhaité supprimer le terme « d’écocide », le réservant au droit international. Pourtant, oui, lorsque l’on détériore dans la durée notre écosystème, on commet bien un « éco-cide ».
Voilà le contenu du titre VI.

Et l’ensemble de ce combat pour notre planète, pour notre futur, demande de garder le cap sur le temps long. Sur un temps qui dépasse nos mandats propres et nos responsabilités. 
Et c’est là le signe de la maturité de notre démocratie : savoir nous assurer que nos décisions se déploient, que nos efforts payent. 
Alors ce texte que je vous présente, aujourd’hui, est enrichi d’un nouveau titre VII apporté par le travail des députés, qui vient transformer notre gouvernance climatique.
Et l’évaluation de la mise en œuvre de cette loi, tous les ans, par le Haut conseil pour le climat et la Cour des comptes, c’est un bon moyen de nous assurer ensemble que notre œuvre transformatrice se prolonge.

*

Oui, cette loi est riche, dense.
Oui, cette loi amène beaucoup d’évolutions, attendues, espérées, parfois même oubliées.
Oui, elle est une nouvelle pierre pour notre République.

Et je dis nouvelle pierre, car cette loi n’est pas seule.
Elle s’accompagne du courage de mettre fin à des grands projets datés et incompatibles avec un projet écologique, que ce soit l’aéroport de Notre Dame des Landes, Europa City, la Montagne d’Or ou encore le terminal T4 de Roissy.
Elle vient avec un plan de relance historique qui consacre 30 milliards d’euros à la décarbonation de notre économie.
Elle vient avec des grandes lois que vous avez votées, qui ont été votées lors de ce quinquennat, pour les nouvelles mobilités, pour la lutte contre le gaspillage, pour l’énergie et le climat.
Elle s’insère dans notre mobilisation internationale de chaque instant qui fera, demain, de l’Europe la première puissance écologique de la planète.

***

Alors voilà, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, à présent, ce texte est le vôtre.

Il est vôtre pour continuer et amplifier le travail entamé par les 150 citoyennes et citoyens.
Il est vôtre pour faire vivre notre démocratie et relever ce grand défi de notre génération.
Il est vôtre pour enclencher, plus vite, partout, la transformation écologique dont notre pays a tant besoin.

Et je sais qu’ensemble, ça a déjà un peu commencé, nous y arriverons.
Je vous remercie.
 

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